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MYSTERE DANS LES LABOURS, Un roman Ă  1000 mains
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David GILLE
Ecrit le: dimanche 10 aoűt 2008, 23:45


Dieu de Cistes.net Membre du CRAB


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Chapitre 20




Michel Grondin faisait face à ses élèves :

- Les enfants, nous allons organiser une sortie dimanche prochain, avec un pique-nique suivi d'une visite de la grotte de la Sorcière. Vous vous munirez d'un casse-croûte, d'un bloc de papier, d'un stylo et d'une lampe de poche. Prévenez vos parents.

- Pffffff ! fit le petit Patrice Tounet, on la connaît, la Grotte de la Sorcière, M'sieur. On va y jouer depuis qu'on est tout petits !

- Bien sûr que vous la connaissez, tout le monde la connaît ! J'y ai joué moi aussi, quand j'étais petit... Mais cette fois, nous allons relever les inscriptions sur les parois de la grotte. Vous savez qu'il y en a des centaines.

Michel Grondin brandit une liasse de papiers et poursuivit :

- J'ai ici les copies des actes de mariage des anciens habitants du village. Nous verrons quels noms de Marcepoulairois et Marcepoulairoises nous trouverons sur les murs, car vous savez que, depuis toujours, cette grotte est le lieu de rendez-vous des amoureux !

Les élèves gloussèrent. Grondin poursuivit :

- Certains d'entre vous y découvriront sûrement les graffitis de leurs arrière-arrière-arrière-grands-parents, et même des plus vieux encore. Il existe sur ces parois des inscriptions datant d'il y a plus de cinq cents ans ! Grâce à cette liste, nous pourrons ainsi voir qui, par le passé, a fréquenté qui ! Ça va être très amusant !

Le dimanche suivant, sous un soleil radieux, une troupe d'une vingtaine de gosses partit en direction de la Grotte de la Sorcière, menée par Michel Grondin. Arrivés sur place, les enfants tirèrent le casse-croûte du sac et se sustentèrent. A cause de l'excitation, le repas fut vite expédié.

- Bon, tout le monde a fini ?... Jetez vos détritus là-dedans, expliqua Grondin en désignant une poubelle marquée "Don du Club des Randonneurs de St Marcelin". Prenez vos blocs de papier, vos stylos et vos torches. On y va.

Ils pénétrèrent dans la caverne, haute comme une maison. Il y faisait frais, et l'air sentait la poussière et l'humidité. Le faisceau des lampes dansait la sarabande sur les murs.

Le petit Vincent Timelapiès s'exclama :

- Ici, il y a un coeur avec une flèche, et les noms : Ernest Pichon et Yoyo, M'sieur, avec une date : 1942 !

- Eh bien, expliqua Grondin, ce graffiti a certainement été laissé il y a cinquante-cinq ans par Monsieur Pichon et sa fiancée, la future Madame Pichon, que vous connaissez tous.

- M'sieur ! M'sieur ! Il y a mon nom de famille, là ! s'écria le petit Amédée Acoudre.

Le gamin montra un endroit de la paroi et ajouta :

- On voit deux coeurs avec les noms : Théophile Acoudre et Valérie Golarde, et une date : 1912.

Grondin s'approcha, jeta un coup d'oeil sur l'inscription, puis vérifia sa liste :

- Ils ne se sont pas mariés par la suite : Valérie Golarde est le nom de jeune-fille de l'arrière-arrière grand-mère de ta copine Ella Sapioche, pas de la tienne.

Ella Sapioche se tourna vers Amédée et dit :

- Tu te rends compte ? Si ces deux-là s'étaient mariés, on serait frère et soeur !

- Tu joues au foot ? demanda le gamin.

- Non.

- Alors c'est mieux comme ça.

- M'sieur, fit le petit Sacha Touille, ici c'est marqué : Gaston Chambier et Henriette, 1952.

Grondin expliqua :

- Il s'agit de Monsieur Chambier et de son amie de l'époque, Mademoiselle Henriette Dumans. Ils ne se sont pas mariés, finalement.

Une autre voix s'Ă©leva au fond de la grotte :

- M'sieur ! M'sieur ! J'ai trouvé votre nom : Hippolyte Grondin et Sylvie Négrett, mars 1688 !

- Moi aussi ! fit une autre voix : Hippolyte Grondin et MĂ©lodie NĂ©aufrigot, avril 1688 !

- Et ici aussi ! fit une troisième voix : Hippolyte Grondin et Hélène Ulachier, mai 1688 !

- Il y en a plein d'autres, là ! s'exclama le jeune Jacques Cordeléviolon : Hippolyte Grondin et Lorma Nodou, juin 1688. Hippolyte Grondin et Justine Idet, juillet 1688. Hippolyte Grondin et...

- Ça va, ça va ! répondit l'instituteur. Allons voir plus loin...

- Ici, M'sieur ! fit la petite Ella Sacuti. On lit : Jules Ptipeux et Amélie Ptipeux, avec deux coeurs et l'année 1948. C'est trop marrant, ils ont le même nom...

Grondin se racla la gorge et fit :

- Hem... Ça explique bien des choses...

Soudain, un cri retentit au fond de la caverne. Sous les pieds du petit Robin Saalor, qui longeait la paroi, le sol venait de s'effondrer comme le cône d'un sablier. Le gamin avait disparu dans le trou. Michel Grondin se précipita et dirigea le faisceau de sa lampe vers le fond. Presque immédiatement, il vit Robin assis sur un tas de sable, un mètre en dessous, indemne.

- Ça va ?

- Oui. MĂŞme pas mal. Il y a une autre caverne ici, et... AHHHHH !

Le gamin jaillit du trou comme une fusée.

- Qu'est-ce qui t'arrive, Robin ? demanda l'instituteur quand le gosse se fut remis sur ses pieds. Tu as vu le diable ?

- Y a... Y a... Y a un mort la dessous !!! répondit le gamin en tremblant, désignant le trou de l'index.

- Un mort ?

- Oui, y a un squelette, M'sieur !



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Une heure plus tard, les gendarmes arrivèrent sur place, accompagnés par le médecin légiste, le Dr Barbak, chargé du permis d'inhumer, etc., etc., etc.

- Décidément, fit ce dernier, vous vous débrouillez pour me rendre la vie impossible, dans ce patelin ! La première fois, c'était sur une île, la fois dernière c'était en pleine nuit, maintenant c'est le dimanche ! Je crois que je ne vais rien prévoir pour la St Sylvestre, c'est plus prudent... Bon, voyons un peu ce citoyen. Où est-il ?

Grondin lui désigna l'endroit :

- LĂ  en dessous.

Le Dr Barbak se glissa dans le trou en pestant. Deux minutes plus tard, sa tête réapparut.

- Aidez-moi Ă  sortir.

Grondin et un gendarme le tirèrent de là. Grondin demanda :

- Alors ?...

- Ce n'est pas de mon ressort : ce quidam a passé l'arme à gauche il y a des milliers d'années !

Il s'Ă©pousseta et se tourna vers les gendarmes :

- Emballez-moi tout ça et faites livrer à l'institut médico-légal pour datation au carbone 14... Messieurs, au plaisir de ne pas vous revoir.




Quinze jours plus tard, un scientifique, le Professeur José Dekoijparl, réunit les habitants de St Marcelin dans la salle des fêtes de la mairie. Germain Poileux le présenta à l'assemblée, puis lui céda la parole :

- Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, fit le professeur Dekoijparl, je suis venu vous annoncer que cet homme, que les médias appellent déjà "l'Ancêtre de St Marcelin," est vieux de neuf mille ans !

- On croit rĂŞver ! fit Pichon.

- Notre laboratoire a réussi à extraire de l'ADN mitochondrial de ses dents, et nous possédons donc son empreinte génétique. Ce que nous voulons maintenant, c'est de vérifier si, parmi vous, il ne se trouverait pas l'un de ses descendants...

- C'est sûrement Hector Boyau ! commenta Chambier, qui n'avait rien compris. Il va sur ses 106 ans !

- Pour ça, poursuivait le scientifique, nous allons prélever un peu de salive sur les enfants de l'école, ainsi que celle des Marcepoulairois adultes qui voudront bien se prêter à l'expérience. C'est totalement indolore, bien sûr... Dès que nous aurons les résultats, je viendrai vous les présenter ici même.




Un mois plus tard, le village était en effervescence : la rumeur prétendait qu'une identification positive avait été obtenue : l'un des habitants était bien le descendant direct de l'Ancêtre de St Marcelin ! Si c'était vrai, cela signifiait que, génération après génération, la famille de l'Ancêtre avait toujours vécu sur le territoire de la commune !

Ainsi qu'il s'y était engagé, le professeur José Dekoijparl vint présenter ses conclusions dans une salle des fêtes pleine à craquer. Cette fois, en plus des Marcepoulairois, il y avait pléthore de journalistes de la presse écrite et de caméras de télévision. Lorsque le scientifique monta à la tribune, un frémissement parcourut la salle.

- Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, commença-t-il, je suis porteur d'une bonne nouvelle !

- Ahhhh ! fit l'assemblée.

- Je vous confirme que quelqu'un, dans ce village, descend bien de l'Homme de St Marcelin ! Et cette personne, c'est... c'est...

Il laissa passer quelques secondes pour faire monter le suspense, puis lâcha :

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David GILLE
Ecrit le: jeudi 14 aoűt 2008, 18:19


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- Votre instituteur, MICHEL GRONDIN !!!

Debout sur l'estrade à côté de Germain Poileux et du professeur José Dekoijparl, Grondin ouvrit de grands yeux effarés. L'assemblée des Marcepoulairois, debout, l'acclamait. Il balbutia :

- Qui ? Moi ?... Mais, je... Euh... Quel honneur, professeur ! Croyez bien que j'en serai digne !

Chambier se pencha vers Pichon :

- Ça ne m'étonne pas : j'ai toujours pensé que ce type se comportait comme Néandertalien en rut.

Le lendemain, Grondin reçut un télégramme de félicitations du président de la République. Ce télégramme fut suivi par un autre, de Ségolène Royal celui-là, dans lequel elle disait son attachement profond aux choses du terroir et aux racines familiales, soulignant que Nicolas Sarkozy n'était pour rien dans la découverte du squelette de l'Ancêtre de St Marcelin bien qu'il essayait de politiser la chose pour en tirer profit.


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C'était le 11 novembre, et il faisait un froid de huit ou neuf béries au moins.

Après le dépôt d'une gerbe au monuments aux morts et un discours vite fait sur le gaz prononcé par un Germain Poileux transi, tous les participants se rendirent au DN2P pour se réchauffer et s'en jeter quelques-unes derrière la cravate. Les gendarmes, eux, menés au pas par Perret, retournèrent dans leurs quartiers pour classer de la paperasserie.

Clovis Platinet, le mécano du garage de Jean Talus, avait le bras gauche en écharpe. Il se dirigea vers la table de Gérard Manjouis et dit :

- M'sieur GĂ©rard, votre tracteur ne sera sans doute pas prĂŞt demain soir. Je n'arrive plus Ă  bouger le bras...

- Qu'est-ce que tu as, p'tit gars ?

- Des rhumatisses. Ça m'empêche de travailler.

- Des rhumatisses, à ton âge ?

- Y a pas d'âge pour les rhumatisses ! fit Salazar Therminusse. J'en ai eu dès le jour où je suis entré à la SNCF, et j'en ai toujours eu depuis. Ma soeur, qui travaille à la Sécu, pareil.

- Ah, si seulement le père Anselme était toujours parmi nous ! fit Jean Bombeur sur un ton de regret. Il te gommerait ton bobo en cinq minutes !

- Le père Anselme ? Qui c'est ? demanda le mécano.

GĂ©rard Manjouis expliqua :

- Le père Anselme était mon arrière-grand-oncle. C'était le guérisseur du village, bien avant l'arrivée du Dr Tchékov. Il frottait le malade avec une racine de mandragore pétrifiée et le frappait avec un martinet en queue d'âne, tout en récitant une formule magique.

- Une racine de mandragore et un martinet ? C'est avec ça qu'il guérissait les gens ?

- Oui. La racine de mandragore avait été déterrée sous le bûcher d'une sorcière brûlée au XVIème siècle, et la queue était celle de son âne. Dans la famille, on se les transmettait de père en fils. Mais le père Anselme est mort dans les années soixante, sans héritier, et personne n'a repris derrière lui.

- Et ça marchait ?

- Si ça marchait ? Et comment, mon gars !!!... Le père Anselme, il guérissait tout : rhumatisses, arthrose, mal de dos, mal de ventre, brûlures, ongles incarnés, grippe, maladies de fumelles, tout !... Il habitait dans une minuscule bicoque en pierres plates, dans le bois du Pive, au bord de la Poulaire. Quand il est mort, mes parents ont fouillé la baraque, mais ils n'ont retrouvé ni la queue ni la racine... Tout ce qui reste, c'est la formule magique que j'ai apprise par coeur quand j'étais gamin. Mais sans les deux ustensiles, elle ne sert à rien. Bientôt, plus personne dans la région ne se souviendra du père Anselme. Ainsi va la vie, p'tit gars...





En prononçant ces paroles, Gérard Manjouis était loin de se douter que le destin s'apprêtait à jouer aux Marcepoulairois un de ces tours dont il a le secret, et que le père Anselme allait bientôt se rappeler à leur bon souvenir.

Tout débuta quelques minutes plus tard, lorsqu'un cabriolet Citroën DS 21 stoppa devant le bistro. Un couple en descendit.

- Les gars, regardez ce qui arrive ! fit Maurice Zotto.

- On croit rĂŞver ! commenta Pichon.

- On dirait les rescapés du Big Bazar de Michel Fugain !

L'homme était rond comme un pachyderme. En le voyant, on se demandait immédiatement s'il n'avait pas tenu le rôle principal dans "Sauvez Willy". Il portait un pantalon bordeaux à pattes d'eph, une chemise noire à fleurs jaunes avec un col pelle-à-tarte, et un mini-pull rouge qui aurait pu servir de bâche à un autorail, d'où jaillissait un ventre ressemblant à une coulée de lave refroidie. Son crâne s'enlaidissait d'une coiffure avec la raie au milieu, modèle Mick Jagger millésime 1969, à côté de laquelle les tignasses improbables du président Evo Moralès, de Bernard Thibault ou de Radovan Karadzic semblaient modernes et de bon goût. Il émanait de lui une sensualité animale. Au sens propre du terme.

Sa compagne, elle, ressemblait comme deux gouttes d'eau à Anémone, mais avec une mâchoire moins prognathe et des yeux un peu plus humains. Elle portait une maxi-jupe en jersey parme de chez Mic-Mac St Tropez 1967, un rouge à lèvres couleur chair, des tonnes de mascara autour des yeux, des espadrilles en ficelle tressée, un bracelet en macramé, et une coiffure crêpée comme celle de la grand-mère de Sheila, mais en plus ringard et avec une fleur en plastique piquée dedans. A son bras pendait un panier en raphia d'où émergeaient deux aiguilles à tricoter.

- Bonjour la compagnie ! fit l'homme en passant la porte. Il ponctua son salut en portant deux doigts à l'arcade sourcilière.

Il s'arrĂŞta au milieu de la salle et demanda :

- Pourriez-vous me dire où on peut trouver le maire de la commune, à cette heure, siouplaît ?

- C'est moi, répondit Germain Poileux en s'avançant. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

- Ma femme et moi, on se rend au concours d'élégance automobile SeventyCars qui se tiendra cet après-midi à Tiquebeux. On s'était arrêté dans le bois à l'entrée du village pour avaler un sandwich et pour laver la voiture avant le concours. Je suis allé chercher de l'eau à la rivière, quand soudain une partie de la berge s'est effondrée...

- Tu m'étonnes, Simone ! fit Justin Ptipeux en gonflant les joues et en écartant les bras, mimant le tour de hanches d'un pétrolier.

L'étranger le fusilla du regard et menaça :

- Tu refais une remarque de ce genre, mon gars, et je m'assieds sur toi !

- C'est bon, intervint Poileux, ne faites pas attention. Il est simple... Donc la berge s'est effondrée, dites-vous. Et ensuite ?

- J'ai vu une bombe dans la vase.

- Une bombe ?

- C'est comme je vous le dis. Et c'est une grosse !

- Bon, ne bougez pas d'ici. Je vais chercher les gendarmes. Vous nous montrerez l'endroit exact.





Présentement, à la gendarmerie, l'adjudant Perret était aux prises avec une citoyenne qui venait pour déposer une plainte. Simplement, il ne parvenait pas à comprendre contre qui elle voulait porter plainte, ni pourquoi. Il faut dire que ladite citoyenne ne lui facilitait pas la tâche : elle était du type radoteuse-évaporée. Comme Perret lui-même avait longtemps comprimé son cerveau sous des képis trop étroits, le dialogue revêtait un côté surréaliste, et la relation des faits avait une fâcheuse tendance à déraper dans les virages.

- Comment vous appelez-vous, Madame ? demanda Perret, les mains planant au-dessus de sa machine à écrire Remington comme ceux d'un exorciste au-dessus de l'occiput d'un possédé.

- Irma Remildois.

- Je ne vous ai pas demandé ce qu'il vous a fait. Je vous demande votre nom.

- IRMA REMILDOIS ! C'est mon nom, gendarme !

- Avec un nom pareil, faut pas s'étonner... Bon, qu'est-ce qui se passe ? Vous avez été violée ?

- Violée ? Quelle drôle d'idée ! Non, je n'ai pas été violée !... Je vais vous raconter. Voilà. Figurez-vous que l'autre jour, j'étais en train de promener Mongénéral, quand soudain...

- Vous promenez un général ?...

- "Mongénéral", c'est mon chien. Un croisé labrador bichon.

- Poursuivez.

- Bon, je disais donc que je promenais Mongénéral lorsque soudain j'ai pensé : "Ça fait bien longtemps que je ne suis pas allée voir les aïs au zoo de Bourac !".

- C'est absolument passionnant. Continuez.

- Il faut dire que, moi, j'aime bien les aĂŻs...

- On ne dit pas "des ails", Madame : on dit : "des aulx".

- Des eaux ? Qu'est-ce que les eaux viennent faire dans mon histoire ?

- Hein ?... Quels os ?

- Celui où je suis allée. Celui de Bourac !... Et d'abord, on ne dit pas "un zo" mais "un zou". C'est anglais, gendarme. Un zou, c'est un zou. Pas un zo !

- Non. Pour être précis, on dit : "un sou est un sou", et c'est auvergnat.

- Objection, gendarme : eux, ils disent : "Un chou est un chou"...

- Un chou Ă©teint un chou ?... Je ne comprends rien Ă  ce que vous me racontez, Madame. Sauf votre respect, c'est du charabia !

- Quel char Ă  bras, gendarme ?

- Un char Ă  bras ?... Mais de quoi me parlez-vous ? Je vous disais que le pluriel de "ail" c'est "aulx"...

- AĂŻe, c'est haut ?...

- Pfff ! Madame, si vous continuez comme ça, on n'en sortira jamais ! S'il-vous-plaît, faites un effort, quoi !

- Faire un nez fort ? Comment ça, faire un nez fort ? Vous croyez peut-être que je fabrique des nez ?... Vous savez quoi, gendarme ? Vous êtes un peu bizarre !

Perret ferma les yeux et se frotta les tempes. Puis, sur un ton las, il dit :

- Madame, vous m'avez bien dit que vous aimiez les aulx, non ?

- Pas les eaux : j'ai dit que j'aimais les aïs... Les paresseux, quoi ! C'est d'ailleurs pour ça que je viens vous voir.

- Attention, Madame, attention !... Vous traitez les gendarmes de paresseux ?

- Mais non, saperlipopette !!! Vous avez bu ou quoi ?... Vous n'Ă©coutez pas, gendarme !

Sous l'attaque, Perret se redressa sur sa chaise et grinça :

- Tout d'abord, on ne m'appelle pas "gendarme", mais "adjudant" ! Ensuite, je vis depuis assez longtemps à St Marcelin pour savoir qu'ici les fumelles ont des devoirs, parmi lesquels celui de ne pas la ramener ! Mais elles ont aussi des droits, bien sûr, ce que personne ne conteste. Par exemple, elles ont le droit de fermer leur clapet quand on le leur demande !... Alors je vous donne un bon conseil, Madame : ne continuez pas sur ce ton, ou alors cette gendarmerie connaîtra sa première bavure de l'année !

Il prit une intonation grandiloquente pour poursuivre, l'index pointé vers le plafond :

- Respect de l'uniforme, Madame ! Respect de l'uniforme, s'il-vous-plaît !... L'uniforme du gendarme, c'est le socle de la République; le socle sur lequel se dresse Marianne ! Car sachez que, sans ce socle, Marianne vacillerait et basculerait dans le caca... Voire même dans la merde, Madame, si vous me passez l'expression !

A cet instant, on frappa à la porte du bureau. Le gendarme Philémon Banilon passa la tête dans l'entrebâillement et salua son supérieur.

- Mon adjudant, le maire est là et désire vous voir. Il dit que c'est urgent.

- J'arrive, répondit Perret en se levant. Tiens, puisque vous êtes là, Banilon, prenez donc la déposition de Madame. Il lui est arrivé quelque chose d'absolument passionnant. Vous allez vous régaler !

L'adjudant Perret rejoignit Poileux à la réception.

- Qu'est-ce qui se passe, Monsieur le maire ?

- Il se passe qu'un touriste a trouvé une bombe au bord de la Poulaire. Une grosse.

- Ben v'lĂ  autre chose ! Allons voir.

Perret réunit quatre hommes, et ils montèrent dans une Estafette. Le véhicule laissa sur sa droite les trois énormes éoliennes flambant neuves qui dominaient depuis peu le cimetière, et s'engagea sur la départementale, précédé du cabrio DS 21 qui indiquait le chemin, et suivi par une demi-douzaine de voitures de curieux. Ils arrivèrent au bois du Pive, bifurquèrent à gauche et empruntèrent un chemin caillouteux qui les mena jusqu'au bord de la Poulaire, à hauteur de la petite masure délabrée du père Anselme. La troupe mit pied à terre.

- Pour une coïncidence, c'est une coïncidence ! rigola Fidèle Oposte. Tout à l'heure, on parlait du Père Anselme, et voilà qu'on se retrouve devant chez lui !

Le couple de touristes entraîna tout le monde vers la rivière.

- La bombe est ici, indiqua l'homme en désignant la berge.

En effet, un grosse masse rouillée, munie d'ailettes tordues, émergeait de la boue.

- On croit rĂŞver ! fit Pichon.

Victor Luilebra, ancien légionnaire et actuel mercier, vêtu comme à son habitude d'un T-shirt kaki, d'un pantalon de treillis, de rangers et de son éternelle casquette Bigeard qui le faisait ressembler à Victor Lanoux dans "Dupont Lajoie", s'approcha de l'engin. Il tendit le cou et commenta, sur un ton d'initié blasé :

- C'est une AN-MG4 américaine de 500 livres, datant de la dernière guerre. C'est du classique...

- Ne vous approchez pas, c'est dangereux, dit Perret. Allez, tout le monde en arrière. Je vais téléphoner aux démineurs de Bourac.

Les témoins refirent le chemin en sens inverse. Les gendarmes barrèrent l'accès à l'aide de cônes et de bandes plastiques rouges et blanches.

Perret appela le groupement de déminage de Bourac sur son téléphone portable :

- Nous avons trouvé une bombe au bord de la Poulaire... Oui, une grosse ! Il faudrait que vous veniez tout de suite.

A cet instant, le képi de l'adjudant s'envola comme si une main géante venait de le balayer. Un centième de seconde plus tard, une énorme explosion troua le silence du sous-bois et les tympans des témoins. Puis un déluge de boue et de débris tomba du ciel.

Perret reprit son téléphone et dit :

- Allô, les démineurs ?... Ce n'est plus la peine que vous veniez !

Il se retourna vers les autres. Chambier cherchait sa pipe dans les fougères. Tout le monde était couvert de boue.

- C'est la bombe : elle a pété ! fit Salazar Therminusse, qui était un fin manieur d'évidences et un enfonceur de portes ouvertes de première bourre.

- On l'a échappée belle ! s'exclama Germain Poileux. Pas de blessés ?

Antonin Couplet répondit :

- Des blessés, je ne sais pas... Mais je crois que vous pouvez rayer Victor Luilebra des listes électorales, Monsieur le maire : dès que vous aviez tourné le dos, il est descendu sur la berge en affirmant qu'il allait désamorcer l'engin lui-même !

- Quel abruti ! fit Pichon avec colère. Maintenant, à cause de lui, le village n'a plus personne pour s'occuper de la mercerie ! Vraiment, tout fout le camp !... St Marcelin va droit à la désertification rurale et aux friches !

A la place de la bombe, il y avait un énorme cratère rempli d'eau boueuse. On chercha les restes de Victor Luilebra. Le maçon, Alonzo Lupanar, retrouva son gros orteil gauche encastré dans le tronc d'un sapin, et Fidèle Oposte mit la main sur sa casquette Bigeard, accrochée à une branche.

- Hé, venez un peu par ici ! cria Ted Demuhl. Regardez ça !

Ce qui restait de la minuscule bicoque du Père Anselme s'était écroulé sous le souffle de l'explosion. Au milieu des gravats gisait une cassette métallique dont le couvercle était à moitié arraché. Tous se penchèrent : à l'intérieur se trouvaient un martinet en queue d'âne et une racine de mandragore pétrifiée.

- Ça alors ! s'exclama Gérard Manjouis. Je les reconnais : ce sont les outils du Père Anselme, dont on a parlé tantôt !... Avec ça, les gars, on a de quoi rester en vie jusqu'au jour de notre mort ! On n'aura plus besoin du Dr Debord !

- Faudrait voir si ces deux objets marchent encore, après tout ce temps...

- Et pourquoi ne marcheraient-ils pas ?... Ça ne fonctionne pas avec des piles, ces machins-là !

- Emportons-les au DN2P pour les essayer sur Clovis, on verra bien.

Le Dr Barbak, médecin légiste, arriva sur les lieux de l'explosion une demi-heure plus tard pour se livrer aux constatations nécessaires à l'établissement du permis d'inhumer, etc., etc., etc.

- Ben tiens, y avait longtemps ! commença-t-il. Je me disais aussi : plus aucune mort violente à St Marcelin depuis quelques semaines ! Que se passe-t-il ? Seraient-ils malades ? J'aurais dû deviner que vous attendiez le jour férié du 11 novembre pour m'emmerder !... Dès mon retour, je préviendrai le personnel de la morgue d'être au boulot à Noël, le jour de l'an, à Pâques, le lundi de Pâques, le 1er mai, le 8 mai, le jeudi de l'Ascension, à la Pentecôte, le jour de l'Assomption et à la Toussaint. Et bien sûr le 14 juillet, comme d'habitude... Bon, où est le de cujus du jour ?

Chambier fit un ample geste du bras tout autour de lui et répondit :

- LĂ . Et lĂ . Et sans doute lĂ ... Peut-ĂŞtre aussi un peu par lĂ  et par lĂ ...





Toute la troupe retourna au DN2P. La salle était enfumée comme aux plus beaux jours d'avant la loi antitabac, ce qui titilla la fibre verbalisatrice de Perret :

- Messieurs, je vous prie d'éteindre vos cigarettes sur le champ, sinon je vais vous aligner ! Ça fait au moins cent fois que je vous le dis !

- TA GUEULE ! hurlèrent à l'unisson Jessy Garillo, Alexis Garette, Kamel Boufiltre, Philippe Maurice, Bernard Guilé, Jehan Chicha, Angie Tanebleux, Lucas Lumet, Annie Cotine, Djémal Boro, Thaba Aprizet, Célia Pipke-Jepréfer, Phil Moitachik, et Jemel Léroulh-Alamein.

L'adjudant n'insista pas.

Gérard Manjouis entreprit de tester le matos du Père Anselme sans plus attendre. Il prit le martinet dans la main gauche et la racine de mandragore dans la droite.

- Allonge ton bras lĂ  dessus ! dit-il Ă  Clovis Platinet.

Avec une grimace de douleur, ce dernier souleva son bras gauche et le déposa sur la table comme s'il s'agissait d'une tonne de viande morte.

Gérard Manjouis prit une profonde inspiration, puis, à trois reprises, frotta alternativement le bras avec la racine de mandragore et le frappa avec la queue d'âne, tout en prononçant la formule magique que lui avait apprise son arrière-grand-oncle :

- Hocus pocus malocus et semper nimer ! Situem legato alacrem eorum, mesossi letarto poiro, dia tadum est hic dalletenfer !... Bras, réveille-toi !

Il laissa passer quelques secondes, puis demanda :

- Alors ?...

Clovis Platinet souleva son membre sans aucune difficulté.

- Octod'jus ! Incroyable !!! fit-il. Je ne sens plus rien, la douleur est partie !... C'est un miracle, M'sieur GĂ©rard !

L'assemblée n'en revenait pas ! Même les plus sceptiques, comme Grondin, étaient bien obligés de reconnaître que ce qui venait de se passer sous leurs yeux défiait la science et le bon-sens.

- Le Père Anselme, c'était pas la moitié d'un con ! dit sentencieusement Fidèle Oposte. Nos anciens savaient ce qu'ils faisaient !... Vous voulez que je vous dise ? Ce qui a tout pourri dans la société moderne, ce sont les inventions du diable, comme le presse-purée Moulinex et la brouette avec des pneus en caoutchouc...

- Et le robinet ! surenchérit Pichon.

- Et le robinet ! acquiesça Oposte. En tout cas, grâce à cette queue et cette racine, ce ne seront pas les Marcepoulairois qui creuseront le déficit de la Sécu ! Le brave Dr Debord va avoir le temps d'aller à la pêche !




Lorsque la chose parvint aux oreilles de ce dernier, rapportée par Germain Poileux, il éclata de rire :

- Monsieur le maire, ne vous fâchez pas, mais tout ça, ce sont des croyances de bouseux !

- Docteur, j'ai moi-même été témoin de cette guérison instantanée ! La queue d'âne et la racine de mandragore du Père Anselme, ça marche !

- Bien sûr que ça marche !... Mais ce n'est ni la queue, ni la racine qui ont guéri Clovis Platinet : c'est son propre cerveau ! Lorsqu'un patient est persuadé qu'une médecine va marcher, eh bien elle marche ! C'est un phénomène bien connu depuis l'Antiquité !

- Ah bon ?

- Oui, et cela a été vérifié des milliers de fois depuis ! Par exemple, un médicament sucré et bon marché sera moins efficace que le même médicament amer et hors de prix. Dans la tête des gens, un vrai médicament doit être amer et cher, sinon c'est de la daube !... Autre exemple : on constate souvent que les verrues commencent à disparaître dès qu'on a téléphoné au dermato pour prendre rendez-vous. Une fois encore, tout se passe dans la tête. C'est psychosomatique...

- Vous avez l'air de prendre ça avec beaucoup de légèreté, Docteur... Ne craignez-vous pas que la queue d'âne et la mandragore du Père Anselme vous coûtent la plupart de vos patients ?

- Ne vous inquiétez pas : j'ai moi aussi mon grigri ! De plus, ce grigri est amer et payant, donc bien plus efficace !

Le Dr Debord fit courir le bruit qu'il possédait un mystérieux calcul biliaire de mammouth. Il précisait que ce calcul avait appartenu à Thoutmosis 1er, puis à Nicolas Flamel, et enfin à Raspoutine; et que c'était grâce à lui que le célèbre moine guérissait la famille impériale russe et les nobles de la cour. Mais, disait Debord, il ne servait que dans les cas graves.

En réalité, il s'agissait d'un galet noir et poli trouvé dans le lit de la Poulaire, qu'il enduisait d'un mélange de quinine et de Cophytol. Lorsque ses patients le touchaient du bout de la langue, ils avaient des hauts-le-coeur. Ils se disaient que ça devait être bougrement efficace puisque c'était horriblement amer. Quand le médecin leur présentait la facture, ils en étaient convaincus et guérissaient sur le champ.

C'est ainsi que les cas de guérisons miraculeuses se multiplièrent à St Marcelin.

Devant le succès du Dr Debord, Gérard Manjouis, vexé, offrit une prime à qui acceptait de faire appel à ses services et à ceux de la queue d'âne et de la racine de mandragore : une entrée gratuite au Monster Rabbit Park. Erreur stratégique ! Non seulement les Marcepoulairois n'avaient aucune envie de visiter le MRP qu'ils connaissaient par coeur, mais ils se disaient que si Gérard Manjouis en était réduit à offrir une prime avec son traitement, c'est que ce dernier ne valait pas grand chose, contrairement à ce que l'on avait prétendu. Manjouis, autoproclamé guérisseur de St Marcelin et successeur du père Anselme, eut de moins en moins de patients et enregistra de moins en moins de guérisons.

Le Dr Debord, lui, n'offrait rien. Au contraire, il augmenta ses tarifs et refusa du monde.

Le mot de la fin revint donc à l'homme de l'art au détriment du médicastre rural, borné, crédule, alcoolique et vaguement consanguin. Et ce n'était que justice, car le Dr Debord était un bac +9 au physique avantageux, alors que Gérard Manjouis, lui, n'était qu'un BEPC -3 assez vilain, qui, dans sa jeunesse, avait préféré fumer des Gauloises en cachette et courir les filles, plutôt que d'apprendre sa table de multiplication et les fables de la Fontaine. C'était bien fait pour sa gueule.

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castafiore
Ecrit le: vendredi 15 aoűt 2008, 21:59


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CHAPITRE 21



Larbi Beuron passa tête baissée devant Madame Dupoilopat, proviseur-adjoint du collège "Jacob Devinsen", situé en plein coeur de la Cité Gaspard Alisant . Il ne put cependant laisser échapper :

- Elle a du poil aux pattes !

- Pardon ?... Vous pouvez répéter ? demanda Ella, dont l'oreille était aiguisée comme une lame de couteau à force d'épuisantes années d'enseignement.

- J'ai rien dit, madame ! dit le gamin en filant vers la salle 103.

- Ça passe pour cette fois, mais que je ne vous y reprenne pas ! gronda Ella.

Elle ferma les grilles du collège et se dirigea vers la salle des professeurs. Depuis la rentrée, il fallait qu'elle soit présente à presque tous les débuts d'heures de cours. On était en novembre, et ils n'avaient toujours pas compris qu'elle veillait aux retards de tous, élèves et professeurs. Cela faisait partie du projet d'établissement du collège classé en ZEP. Elle ne tolérerait aucune absence injustifiée, aucun retard.

La bande de tire-au-flanc qui composait l'équipe pédagogique avait adopté, depuis la rentrée des vacances de Toussaint, une nouvelle stratégie. Les profs, soudés, se relayaient d'heure en heure, pour qu'il y en ait toujours deux en retard. Elle trouva donc, à 8H25, Monsieur Anstuck, professeur de SVT et Madame Rivenbus, professeur d'Histoire-géographie, discutant de leurs dernières vacances et tenant un gobelet de café.

Elle fit celle qui n'entendait rien, ne dit rien et montra sa montre. Les deux collègues la regardèrent d'un air narquois, prirent leurs cartables et montèrent dans leurs classes respectives. Elle les suivit. Trente élèves attendaient dans le couloir, certains hurlaient :

- La mère Rivendus est pas là, le père Anstuck non plus ! On se tire.

- Silence !!! cria Madame Dupoilopat. Je ne veux plus entendre un mot ! Vos professeurs sont lĂ . Rangez-vous !

Angelo Anstuck ouvrit la porte de sa salle, Elsa Rivenbus ouvrit la sienne. Les élèves entrèrent bruyamment dans les salles de cours, et un merveilleux silence se fit, dont Ella fut seule à profiter. Puis elle prit la direction de son bureau. 8H35 : trop tôt pour les appels de l'Inspection Académique. Elle passa à la conciergerie, voir Jules Derniémo :

- Des appels pour moi ?...

- Non Madame, mais le courrier est arrivé.

- Donnez-le moi, je passe au secrétariat.

Elle subtilisa le quotidien régional et déposa le courrier sur le bureau de Mademoiselle Félicie Ossi qui n'arrivait qu'à neuf heures. Puis, assise sur son fauteuil directorial, elle plongea pour une courte demi-heure de pause dans la lecture des titres. Ils parlaient tous des différents projets éducatifs des écoles primaires et des trois collèges du canton. A croire que la presse n'avait rien d'autre que l'école à se mettre sous la dent. Elle lut rapidement le récit d'une guérison miraculeuse à Saint-Marcelin et passa au plus intéressant : son horoscope. Verseau, elle était née le 27 janvier 1963.

Travail : soyez ferme, des proches cherchent à nuire à votre carrière. Vous leur montrerez de quel bois vous vous chauffez. Amour : votre mari vous trompe, n'hésitez pas à lui rendre la pareille.

- Tiens, il faudra que je passe un coup de fil Ă  Cooper vers 15 H, il est seul et cette peste d'Odette Dhonneur ferme l'infirmerie Ă  15 H, pensa-t-elle.

Santé : prenez soin de vos pieds, ils vous le rendront.

Elle replia soigneusement le journal. Elle l'apporterait elle-même au CDI, elle en profiterait pour vérifier que les documentalistes étaient bien à leurs postes et ne faisaient pas des réussites sur les deux ordinateurs neufs offerts par le Conseil Général.

On frappa à la porte. La tête échevelée de Mademoiselle Berthe O'Grandpied, professeur d'anglais, apparut dans l'entrebâillement en compagnie d'un gamin.

- Je peux entrer, Madame Dupoilopat ? J'ai eu un problème avec Jarry Deveau, élève de 3ème2.

- Entrez. Que s'est-il passé ?...

- J'étais en train de noter au tableau la liste des verbes irréguliers, quand j'ai reçu ceci dans le dos.

- Faites voir, dit la Proviseur-adjoint, très intéressée. Tiens, une clé à molette ! Alors, Jarry Deveau, vous me conjuguerez : «Je ne dois pas jeter une clé à molette dans le dos de mon professeur» à tous les temps et en anglais.

- J'ai mal au dos, dit Berthe. Je suis passée chez l'infirmière pour faire constater le délit, mais elle n'était pas là.

Ella la regarda d'un air incrédule.

- Rejoignez votre classe. J'ai bien dit : «Pas d'absence injustifiée». Vous n'allez pas nous faire toute une histoire pour un banal incident !... Quant à ce polisson, je vais le faire conduire en salle d'études. Jarry, attendez-moi dans le couloir !

Dès qu'ils furent sortis, Ella saisit son téléphone.

- Allô, Cooper ? Ah, mon chéri, tu es là. Tu es seul ?...

- Tu viens de me réveiller ! hurla l'homme. Bien sûr que je suis seul ! Ça ne va pas ?

Il raccrocha, furieux. Madame Dupoilopat regarda la clé à molette, se leva, ouvrit son armoire, sortit une grosse boîte à outil et plaça religieusement l'objet du délit dans l'une des cases. Cooper serait content.

Ils s'étaient rencontrés à Venice, USA. Lui réparait des Bentley dans un grand garage, elle était jeune fille au pair et préparait sa licence. Cooper Dupoilopat et Ella Bouret-Lésurne étaient immédiatement tombés amoureux. Mariés à Las Vegas, ils avaient considérés que leur voyage de noces était bouclé, puis étaient rentrés en France où Ella avait entamé une carrière de trente ans d'enseignement de l'anglais. Reçue brillamment au concours de proviseur-adjoint, elle avait sauté sur l'occasion pour loger son mari dans un nid d'amour dans le logement de fonction du collège «Jacob Devinsen», son premier poste dans cette fonction. Cooper ne travaillait plus, profitant de sa retraite, mais aimait bricoler.

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castafiore
Ecrit le: samedi 16 aoűt 2008, 13:41


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A 9H10, Félicie Ossi entra dans le bureau pour la signature des courriers administratifs. D'un trait ferme et régulier, Ella accomplit cette tâche rébarbative sans lire les messages, et fila en salle des profs. Elle entendit deux voix. La porte étant fermée, elle tendit l'oreille.

- Et tu as vu le DalaĂŻ Lama ? demandait le prof de latin Jules Lachans de Voirin-Dahu.

- Oui, comme je te vois. J'ai participé au rassemblement de Nantes en août, ça m'a coûté 600 Euros, mais depuis je me sens mieux, répondit Mélanie Chéoli, la prof de varape.

- Et qu'est-ce qu'il a dit d'intéressant ?

- Des tas de choses, mais je me souviens surtout d'une phrase qui m'aide Ă  vivre.

- Laquelle ?

- Il a dit : «Butterfly and the Queen a man». Je cherche à comprendre et pendant que je cherche j'oublie tout.

- «Le papillon et la Reine, un homme», dit le prof de latin qui adorait les mystères des langues.

- C'est ainsi que l'a traduite Matthieu Ricard, mais je crois ne pas ĂŞtre la seule Ă  ne pas avoir compris l'explication, alors je cherche.

- Et vous allez chercher dans votre classe ! cria Madame Dupoilopat en ouvrant la porte brusquement. Remontez en cours immédiatement sinon je vous colle un rapport !

A son retour Jarry Deveau n'Ă©tait plus dans le couloir.

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David GILLE
Ecrit le: samedi 16 aoűt 2008, 22:48


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Ella Dupoilopat ameuta le personnel et lui ordonna de fouiller l'Ă©tablissement de fond en comble.

- Il faudrait peut-être prévenir les gendarmes ? suggéra Jules Lachans de Voirin-Dahu.

- Et pourquoi pas le Dalaï Lama, pendant que vous y êtes ? s'offusqua Ella Dupoilopat. Vous voulez attirer l'attention des média sur nous, ou quoi ?... Cherchons d'abord, on avisera ensuite.

Ils fouillèrent les moindres recoins, des combles jusqu'à la cave, regardèrent dans tous les placards, ouvrirent toutes les penderies : le jeune Jarry Deveau demeurait introuvable.

Socrate Moildos, le responsable des services généraux, arriva en courant :

- Ne cherchez plus : sa mobylette a disparu. Il est dehors, dans la nature : c'est une fugue !

- Quelqu'un sait-il si le gamin a de la famille dans la région ? demanda Madame Dupoilopat.

- Oui, répondirent Olga de Lamarine et Félicie Ossi : son oncle et sa tante vivent à St Marcelin-sur-Poulaire...

- Comment s'appellent-ils ?

Olga consulta le dossier de l'adolescent et répondit :

- Raoul Mapaoule et Viella Mapaoule. Ce sont d'anciens forains qui faisaient tourner un manège jusque dans les années 90. Le gamin les adore... Ils habitent au 18 rue Cindy Sander.

- Si vous voulez, je peux aller à l'aéro-club et survoler la région, suggéra Jean-Loup Ftanza, qui avait son brevet de pilote et espérait faire un tour aux frais de la princesse. Je le repérerai sûrement...

Madame le proviseur-adjoint ne fut pas dupe. Elle ignora la proposition et dit :

- Je saute dans ma voiture et je fonce à St Marcelin. Si c'est là qu'il est allé, je le trouverai. Je vous tiens au courant... Félicie, appelez mon mari et prévenez-le que je rentrerai en retard. Dites-lui qu'il y a du poulet et de la bière au frigo.

Pendant ce temps, Jarry Deveau, sur sa mobylette, roulait vers St Marcelin à fond les manettes, la rage au ventre, les larmes aux yeux et les imprécations à la bouche :

- O'Grandpied, saloperie de vieille bique ! J'espère que tu crèveras la gueule ouverte, bouffonne !... Et toi, la mère Dupoilopat, je te souhaite de tomber dans l'escalier et de t'empaler sur ta jambe ! Marre de ce collège pourri !

Le gamin était furieux. Berthe O'Grandpied l'avait traité de débile parce qu'il avait traduit le verbe "to cry" par "crier" eu lieu de "pleurer". Tu parles d'une affaire ! Jarry Deveau regrettait d'avoir raté la nuque de sa professeur lorsqu'il lui avait balancé la clé à molette. Mais cette vieille peau ne perdait rien pour attendre : la prochaine fois qu'il la verrait, il lui balancerait un marteau en plein dans les gencives. Non mais !... En attendant, il allait se réfugier chez son oncle et sa tante, seules personnes qui le comprenaient. De plus, tata Viella faisaient des crèmes brûlées comme personne.

Au volant de sa Clio, Ella Dupoilopat fonçait à tombeau ouvert vers St Marcelin. Elle vit le gamin au moment même où il pénétrait dans le village. Elle appuya sur l'accélérateur pour se porter à sa hauteur, baissa la vitre et cria :

- Deveau, arrêtez-vous tout de suite, ou ça va barder !

Le gamin tourna la tĂŞte dans sa direction et brailla :

- Pas question, madame ! Vous pouvez aller vous....

A cet instant, la mobylette percuta un homme qui traversait la rue. L'individu fut projeté sur la chaussée, tandis que Jarry Deveau zigzaguait pour garder son équilibre.

- Ouf, il n'est pas tombé ! murmura Ella Dupoilopat en arrêtant sa voiture. Il y a un Dieu pour les petits imbéciles !

Elle mit pied à terre et courut vers la victime, toujours allongée sur le sol.

- Vous n'avez rien ? demanda-t-elle en se penchant sur lui.

- Octod'jus ! fit l'homme, en se redressant. Où est ce morveux, que je lui enfonce sa pétrolette dans le derrière ! On n'a pas idée !

Madame Dupoilopat l'aida à se remettre sur pied. Elle fut frappée par la force virile et la prestance qui se dégageaient de lui. Bien que nettement plus âgée qu'elle, il était éminemment séduisant. Epaules larges, taille bien prise, il ressemblait à Vittorio De Sica, avec moins de cheveux. Ella Dupoilopat se présenta :

- Je suis Madame Dupoilopat, proviseur-adjoint au collège "Jacob Devinsen" de Piqueton-lez-Genêts.

- Je m'appelle Gaston Chambier, fit la victime en se frottant l'endroit oĂą le dos change de nom.

Ella Dupoilopat désigna Jarry Deveau qui, à quelques mètres de là, vérifiait l'état de sa mobylette.

- Ce garçon est l'un de nos élèves, Monsieur Chambier... Deveau, venez ici et excusez-vous !

Le gamin s'exécuta.

- Allez chez votre oncle, et attendez-moi lĂ  bas ! ordonna-t-elle.

Chambier fusilla le gamin du regard et grogna :

- Si c'est l'un de vos élèves, qu'est-ce qu'il fiche ici au lieu d'être en classe ?...

- Il a fait une fugue.

- Une fugue ? fit Gaston en retroussant ses manches. Vous voulez que je lui fasse passer définitivement le goût des fugues, à ce petit morveux ?

- Non, ce n'est pas la peine, Monsieur Chambier. Je suis certaine que tout ça lui aura servi de leçon.

- Vraiment pas ? demanda encore Gaston, prĂŞt Ă  rendre service.

- Oui, vraiment pas. Merci... Vous êtes sûr de ne pas être blessé, Monsieur Chambier ? fit-elle avec un sourire enjôleur, en lui posant la main sur le bras.

Elle palpa. Le muscle était dur comme du bois. Ella Dupoilopat était troublée. C'est alors qu'elle se souvint de son horoscope du jour. Elle accentua encore la pression sur le bras.

"Mais... Elle en veut à ma viande ! Elle me drague !" pensa Chambier, que les minauderies de son interlocutrice commençaient à agacer. De plus, elle est mariée : elle porte une alliance !... C'est quoi, cette folle ?

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castafiore
Ecrit le: dimanche 17 aoűt 2008, 22:05


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- Et si nous allions boire un verre pour vous remettre ? demanda Ella.

- C’est pas de refus, répondit Gaston subitement intéressé. Il ôta la main qui le pressait mais avec plus de douceur. Je connais un petit bar, c’est au bout de la place.

Au DN2P, ils furent accueillis fraîchement, c'était l'heure sacrée de l'apéro. Que pouvait bien faire Gaston avec cette grande gigue efflanquée, aux cheveux roux coupés au carré, aux dents supérieures en avant, au nez aquilin, au regard fuyant et qui portait un tailleur et des chaussures à talons un lundi ?

On n'avait pas vu de fumelles ici depuis un bail. Les fumelles, ça buvait le café à 10 H, au retour du marché ; et après, ça préparait la soupe. Personne ne leur adressa la parole, et il fallut que Gaston, conscient de l'incongruité de la présence de cette personne en ces lieux, se mette à crier :

- Deux canons, Albert ! Et je vous présente Madame Dupoilopat, chef du collège de Piqueton.

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David GILLE
Ecrit le: lundi 18 aoűt 2008, 11:00


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- Y a pas de sot métier ! répondit Antonin Couplet, accoudé au bar. Sauf danseur de ballet et couturier, bien sûr.

Ella Dupoilopat se pencha légèrement vers Gaston et demanda :

- Alors, Monsieur Chambier, dites-moi : vous êtes marié ?

- Non. Veuf. Et depuis un bout de temps !

- Oh, je suis désolée. Vous n'avez jamais songé à vous remarier ?

- Non. Pourquoi faire ?

- Vous ĂŞtes exploitant agricole, je suppose ?

- Moi ?... Pas du tout : je suis l'associé du comte Pichon dans le Monster Rabbit Park.

- Oh ! Je connais votre parc, je l'ai visité avec les élèves de l'école ! C'est passionnant !... Et j'ai aussi beaucoup entendu parler de Monsieur le comte. Tout comme vous, ce doit être un homme charmant, très distingué...

Chambier désigna un coin de la salle :

- Il est assis Ă  la table, lĂ -bas. Celui qui a le doigt dans le nez...

Il régnait dans le bistro une certaine effervescence. Ce remue-ménage ne passa pas inaperçu aux yeux de la visiteuse. Elle regarda autour d'elle et demanda :

- Mais pourquoi tous ces gens sont-ils si excités ?

- Notre maire a décidé d'installer à St Marcelin une "Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois", qui sera inaugurée demain. Et plutôt que de nommer arbitrairement son directeur, il organise un vote. C'est une tête de cochon, notre maire, mais c'est aussi un vrai démocrate.

- C'est absolument passionnant ! Quelle bonne idée !... Combien y a-t-il de candidats ?

- Trois : Michel Grondin, notre instituteur; Alonzo Lupanar, le maçon; et Elvire Debord, la femme du toubib.

Comme si l'assemblée n'avait attendu que cela, des cris enthousiastes s'élevèrent :

- DE LA PREHISTOIRE A NOS JOURS : GRONDIN TOUJOURS !

- LUPANAR A LA BARRE !

- TOUSSE ENSEMBLE ! TOUSSE ENSEMBLE ! AVEC ELVIRE DEBORD !

- Des slogans idiots, j'en ai déjà entendus pas mal dans ma vie ! commenta Ella Dupoilopat. Et particulièrement lors de la dernière campagne présidentielle... Mais ces trois-là, ils tiennent le pompon. Surtout le troisième !... Mais dites-moi, Gaston -je peux vous appeler Gaston ?- faut-il habiter à St Marcelin pour postuler ?

- Non. Pourquoi ? Vous voulez vous présenter, Mââme Poilopat ?

- Je vous en prie, appelez-moi Ella... Oui, je suis une passionnée des traditions du Gramouillirois. Je pense que je pourrais faire une excellente directrice.

- Après tout, pourquoi pas ? fit Chambier. Si vous avez du temps à perdre...

- Je suis fonctionnaire, Gaston !

Elle posa sa main sur la sienne et ajouta, d'une voix de petite fille réclamant un Carambar :

- Vous voudrez bien me trouver un slogan ?

- Moi ?... Vous savez, les slogans électoraux, ce n'est pas mon fort, Mââme Poilopat. Et chez nous, ce ne sont pas les slogans qui font gagner les élections, mais le nombre de tournées générales !

Elle accentua la pression sur la main et battit des cils.

- S'il vous plaît, Gaston...

- Euh bon, je vais réfléchir. Mais je ne peux rien promettre.

Ella Dupoilopat était subjuguée. Quel homme ! Quelle délicatesse ! Et puis, quel savoir-vivre !

En réalité, Chambier n'avait pas une once de savoir-vivre ! Lorsqu'ils étaient entrés au DN2P, il avait tout naturellement passé la porte en premier. Mais il ignorait que la bienséance imposait justement aux hommes d'entrer les premiers dans les bars et restaurants, et ensuite seulement de tenir la porte à leurs compagnes. Ella Dupoilopat se méprit et attribua à la bienséance ce qui revenait à l'ignorance : "Enfin, un homme qui connaît les bonnes manières !" avait-elle pensé, sous le charme. Et maintenant, il avait accepté d'être son directeur de campagne ! Elle était troublée. Il fallait qu'elle prenne l'air. Elle regarda sa montre et fit :

- Je dois récupérer ce garnement de Jarry Deveau et sa mobylette, et les ramener à Piqueton. Voici ma carte, téléphonez-moi dès que vous aurez trouvé un slogan. Je suis sûr que vous allez faire des étincelles ! Nous sommes appelés à nous revoir, mon cher Gaston. J'ai hâte...

Pendant dix secondes, elle se livra à toutes les mimiques et prit toutes postures de la séduction : elle cambra ses reins, gonfla sa poitrine, fit crisser ses bas Nylon en frottant ses cuisses l'une contre l'autre et rejeta ses cheveux en arrière comme le faisait Dalida, d'un geste ample par dessus son épaule. Mais elle avait les cheveux courts et elle arracha l'une de ses boucles d'oreilles. Puis elle se leva et tendit la main.

- Ne me raccompagnez pas, dit-elle à Chambier qui n'avait aucune intention de la raccompagner. Je suis sûre que votre dos vous fait encore souffrir.

Dès qu'elle eut passé la porte, Pichon rejoignit Chambier à sa table.

- C'était quoi, cette créature, vieux gars ?

Gaston lui raconta les circonstances de leur rencontre.

- On croit rêver ! commenta Ernest avec sobriété. Elle veut se présenter à l'élection du directeur de la "Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois" ?...

- Oui, et elle veut que je lui trouve un slogan. Mais je suis sûr qu'en réalité, elle en veut à ma viande !.. Comment-vais-je faire pour me débarrasser de cette sangsue ? Je ne peux tout de même pas lui taper dessus !





Le lendemain, Chambier, comme Ă  son habitude, arriva au DN2P Ă  8H30, et commanda un triple guignolet et une tartine de camembert.

- Quoi de neuf, mon cadet ? demanda Pichon.

- Muso est revenu !

- Ah oui, c'est en général à cette époque de l'année qu'il se pointe, dès qu'il commence à faire froid. Il va encore nous casser les pieds !

- Tu ne crois pas si bien dire ! répondit Chambier. Ce matin, en me réveillant, il était couché sur mon lit ! Il a fallu que je lui donne une cuisse de poulet rôti pour qu'il daigne s'en aller. Il prend vraiment ses aises !

Jean Bombeur se mĂŞla Ă  la discussion :

- Avant-hier soir, il est arrivé chez nous pendant qu'on était à table. Il a ouvert le frigo comme s'il était chez lui, et a fauché une saucisse ! Il n'a même pas eu un mot de remerciement ! Rien, pas ça !... Et en plus, il a pissé sur le palier en sortant ! C'est infernal, un pareil sans-gêne !

- Et c'est de pire en pire ! surenchérit Jacques Uzlekou : hier, il s'est installé dans notre salon pour regarder les infos en bouffant des cacahouètes. Puis il a changé de chaîne pour regarder 30 millions d'amis !... Il faudrait quand même que ça cesse un jour !

Muso était un raton laveur qui, après après année, à la même époque, revenait dans le village. Muso était terriblement effronté et entrait dans les maisons pour y faire tout ce qu'il voulait. Son comportement désinvolte irritait les Marcepoulairois, mais personne n'aurait songé à lui faire du mal. Les enfants l'adoraient parce qu'il était mal élevé et faisait des choses qu'eux-mêmes auraient bien aimé faire. La bestiole avait vite compris qu'elle était la mascotte du village, et profitait de manière éhontée de la situation, sachant qu'elle jouissait d'une totale impunité.


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- Tu vas Ă  l'inauguration, Ă  11H ? demanda Chambier Ă  Pichon.

- Oui. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai mis des chaussettes propres, comme tu peux le constater.

Germain Poileux avait décidé d'inaugurer la "Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois" sans attendre le résultat du vote, estimant que l'exposition pouvait tourner correctement sans directeur pendant quelques jours.

La "Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois" était un ancien corps de ferme, entièrement réhabilité. A l'entrée trônait le premier pressoir utilisé dans la région. De l'époque romaine jusqu'en 1698, chaque automne, on demandait aux femmes du Poulairois de sauter, fesses en avant, dans les cuves à raisin pour en extraire le jus servant à la production du Pissecoul. Compte tenu de la morphologie particulière de la plupart d'entre elles, cette technique se révélait très efficace. Mais à partir de 1699, pour des raisons d'hygiène, on préféra fouler le raisin aux pieds. Cette méthode perdura jusqu'en 1892, date à laquelle Abel Decadix introduisit le pressoir à vis verticale Coquard. On nota tout de suite une altération de la saveur du vin, mais on s'y fit. C'est cet appareil vénérable qui accueillait les visiteurs de "la Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois".

De vitrine en vitrine, on admirait ensuite une collection de dents perdues par les joueurs de chichourle, le pénis momifié du marquis Cageon, seigneur de Mortaigne; le premier accordéon importé dans la région par un nommé Edmond Cussurla-Komod en 1873, différents travaux d'aiguille réalisés dans le Poulairois, et en particulier une collection de "satrefanes", linges brodés destinés à absorber le vomi des cirrhotiques, ainsi que des bonnets de nuit en coton finement ouvragé, dont les femmes de Tiquebeux s'étaient fait une spécialité. Un peu plus loin, on découvrait le canon à goulasch d'Isidore Lapilule, la matrice du premier single de Maud Herfokeur, le crâne de la vache Clarabelle, les partitions originales de "La belle chanson du Porcelet d'Or" et "Les Trois Pourceaux", ainsi qu'un machin rond et desséché, qui était présenté comme l'hymen de Josiane Courtecuisse, mais qui, plus probablement, était une crêpe brûlée.

La salle suivante offrait à la vue des visiteurs les pochoirs ayant servi à flétrir Cléa Molette et Eléonore Bourin, la racine de mandragore et le martinet en queue d'âne du père Anselme, ainsi que la carte du PCF de Célia Lutefinale. La dernière contribution à "la Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois" fut l'oeil gauche du légionnaire-mercier Victor Luilebra, confisqué à des gamins qui l'avaient trouvé dans le bois du Pive, et s'en servaient pour jouer aux billes. L'objet fut placé dans un bocal d'eau-de-vie offerte par Omar Chécouvert, qui obtint, en qualité de sponsor, le droit de faire figurer au pied du bocal : "Omar Chécouvert et Alain Alakebard, épicerie fine et delicatessen".

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castafiore
Ecrit le: lundi 18 aoűt 2008, 22:54


RĂ©volutionnaire piscicole


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A leur grand étonnement, les professeurs du collège de Piqueton-les-Genêts ne subissaient plus les humiliantes pressions de leur proviseur-adjoint, qui ne sortait plus de son bureau.

- Elle a craqué, on cesse le bras de fer, dit Amélia Baldaquin, professeur d'Espagnol et responsable syndicale.

- Et pour la clé à molette ?... risqua Berthe O'Gandpied. Qu'est-ce qu'on fait ?

- Jarry Deveau a été renvoyé une semaine, ça suffit.

L'heure de la fin de la récréation sonna. Tous remontèrent en cours à l'heure, ignorants des tourments qui agitaient le coeur de Mme Dupoilopat.

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La marquise demanda sa voiture et se mit au lit.
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David GILLE
Ecrit le: mardi 19 aoűt 2008, 14:45


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Elle attendait que Gaston veuille bien l'appeler, mais ce dernier repoussait le pensum jour après jour, espérant dépasser la date de l'élection prévue pour le dimanche suivant. Mais Ella Dupoilopat, n'y tenant plus, décrocha son téléphone et appela le DN2P.

- AllĂ´ ?... fit Dufermage.

- Bonjour. Je voudrais parler à Monsieur Chambier, s'il vous plaît.

- C'est de la part de qui ?...

- C'est personnel.

- Ne quittez pas, je vous le passe.

Dufermage tendit le combiné à Gaston.

- C'est pour toi.

- AllĂ´ ?... Ah, bonjour, fit Chambier d'une voix blanche en fusillant Dufermage du regard.

- Mon cher Gaston, je suis certaine que vous avez trouvé le slogan de ma campagne pour l'élection du directeur de la "Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois". Me trompe-je ?...

Chambier se concentra et trouva le slogan en moins de temps qu'il n'en faut à la CIA pour fomenter une révolution en Amérique du Sud, à un soldat russe pour tuer un civil à coups de bouteille de vodka vide ou à un policier chinois pour étrangler un opposant tibétain avec son ceinturon. Il répondit :

- Oui, après avoir longuement réfléchi, j'ai trouvé ce qu'il vous faut. Prenez de quoi noter. Voilà : "Ce je ne sais quoi que d'autres n'ont pas, Ella, elle l'a."

- Héla, héla ?

- Non, pas "héla héla" : "Ella, elle l'a". Comme dans la chanson de France Gall...

- C'est une chanson de supporters de rugby ?

- Non, pas France-Galles : France Gall, la chanteuse.

- Ah oui... Mais est-ce que c'est un bon slogan Ă©lectoral, Gaston ?

- Ça ne vaut pas une tournée générale, mais c'est presque aussi bien que "La farce tranquille" ou "Mangez des pommes".

- Il faudrait que nous nous rencontrions très vite afin que vous m'expliquiez cela de vive voix.

Chambier frisait la panique. Il bredouilla :

- C'est que... nous sommes en plein dans les bilans du MRP en ce moment, je n'ai plus une seconde à moi, Mââme Dupoilojambes.

- Opat. Dupoilopat.

Elle Ă©changea encore quelques mots avec Chambier, et raccrocha, envahie par la tristesse. Il ne se souvenait mĂŞme plus de son nom. Elle sentait son coeur se briser.

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David GILLE
Ecrit le: mardi 19 aoűt 2008, 18:52


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- Mais comment vais-je faire pour me débarrasser de cette fumelle collante ? demanda Chambier à Pichon. Si ça se trouve, elle va débarquer ici un de ces quatre, juste au moment où je serai en train d'avaler mon Picon-bière, et je m'étranglerai en la voyant. Il y va de ma vie, vieux gars !

- J'ai une idée, mon cadet. Dans son collège, elle bouffe certainement à la cantine. Par conséquent, son horizon culinaire doit se limiter à l'oeuf mayo "Bénedicta collectivités", au foie de porc purée mal lavé, suivi d'un yaourt aux colorants, et arrosé de sirop de parapluie. Voilà ce que tu vas faire : tu vas l'inviter au Restaurant du Presbytère !

- L'inviter au resto ? Mais tu es fou ! Autant lui chanter "Viens Poupoule" en ouvrant mon lit !!! Non mais, tu l'as bien regardée ?... Elle ressemble à Grand Corps Malade teint en roux, et elle a la même voix que lui !

- Ne t'inquiète pas, je vais arranger tout ça avec Paul Acharbon. Il va vous préparer un dîner aux chandelles dont elle ne se remettra pas !

- Tu veux dire... Il ne va quand mĂŞme pas l'empoisonner ?

- Mais non, vieil imbécile ! Laisse-moi faire.

Gaston n'avait confiance qu'en une seule personne sur cette Terre : Pichon. Mais là, il hésitait. Inviter la mère Poilomollet ? Ça revenait à lui déclarer sa flamme !

- Tu es sûr, vieux gars ?

- Absolument. Invite-lĂ  pour jeudi soir.

Ainsi fut fait.

Pour que son mari ne se doute de rien, Ella Dupoilopat prétexta une réunion académique qui aurait lieu le jeudi soir et risquait de traîner en longueur. Pour Cooper Dupoilopat, ça tombait bien : ce soir-là, FR3 diffuserait "Les bidasses en folie", un chef d'œuvre qu'il avait déjà vu douze fois, mais dont il ne se lassait pas. Au moins ne serait-il pas dérangé par les bavardages, et pourrait-il roter sans retenue en vidant des cannettes de Kro "Chantier".

Le jeudi à 20H, Ella et Gaston s'installèrent à la table qui leur avait été réservée. Ella regardait autour d'elle, impressionnée par le décor à la fois médiéval authentique et bourgeois, par la somptueuse vaisselle de Limoges et par les convives sur leur trente-et-un.

Avec cette sensibilité propre aux femmes, elle perçut la gêne qui s'était installée entre eux. Elle la mit sur le compte de la timidité de Gaston, et s'efforça de meubler le silence par les bavardages incessants et ineptes. Par exemple lorsque le garçon, un Malien en règle, leur apporta les apéritifs, elle s'enferra dans un récit sur lequel Gaston eut bien du mal à se concentrer.

- Quand j'étais petite, fit-elle en minaudant, je pensais que les Noirs étaient des gens excessivement bronzés parce qu'il habitaient sur un continent où le soleil tape fort, et que s'ils venaient vivre en Europe, ils devenaient blancs. Pareillement, je pensais que les Européens qui partaient vivre en Afrique devenaient noirs... C'est hilarant, n'est-ce pas ?

- Oui, c'est à se rouler par terre et à s'en prendre une pour cogner l'autre ! répondit Gaston, bougon, qui se demandait ce qu'Ernest et Acharbon avaient bien pu manigancer pour le débarrasser de ce sac de glu, et combien de temps cela allait encore durer.

- Je me suis permis de commander le menu Premium pour deux, fit-il pour l'empêcher de parler de la couleur des Indiens d'Amérique et de celle des Chams du Vietnam.

Aussitôt, il regretta d'avoir prononcé les mots "pour deux". Il lui semblait qu'ils étaient aussi pleins de sous-entendus que : "Voulez-vous voir ma cicatrice de l'appendicite, Ella ?"

- Vous avez très bien fait, Gaston, répondit Ella Dupoilopat, que l'amour rendait presque belle malgré sa robe vert fluo et sa coupe de cheveux évoquant les cheminées du paquebot France.

Le maître d'hôtel apporta l'entrée : pizzicati de bar de ligne en cassolette à la crème d'asperges vertes safranée et à l'aneth miellé, et piqués à la fleur de sel.

Ils gouttèrent. Gaston eut du mal à ne pas hurler de plaisir. Il observa Ella Dupoilopat : ses yeux roulaient dans ses orbites et elle avait le souffle court.

Puis on apporta les filets de chapon Victoire au jus de truffes, servis avec leurs fritons, et des tomates Prunes Noires et Ivory Egg farcies aux foies fumés de canard des landes, hachés avec du pain d'épice de Nuremberg, de l'estragon et une pointe de gingembre, et mouillées d'un gaspacho léger.

A la première bouchée, Ella Dupoilopat tomba à genoux, se cognant violemment le menton sur la table. Le maître d'hôtel l'aida à se rasseoir. Elle était à moitié groggy, mais telle une folle inconsciente, elle reprit une bouchée. Elle poussa un hurlement de louve, et son œil gauche faillit jaillir de son orbite. Puis elle hurla :

- Oh oui ! Oh oui ! Oh ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Elle se rejeta en arrière, bascula sur le dos en entraînant la nappe dans sa chute et renversa la table à laquelle étaient installés Elma Faydéguily-Soulakouet et Frankie Gostou-Olivoud. Allongée sur le sol, son corps était agité de soubresauts, mais elle avait un sourire aux lèvres. Puis elle s'immobilisa, morte comme la mer du même nom.

- Y a-t-il un médecin dans la salle ? demanda Paul Acharbon, qui était sorti de sa cuisine.

Un homme se leva, essuya sa bouche avec sa serviette, qu'il jeta ensuite violemment sur la table. Puis il se dirigea vers Ella Dupoilopat. C'était le Dr Barbak, médecin légiste.

- C'est pas vrai, ça !!! Dans ce patelin, vous ne pouvez pas crever dans un lit, comme tout le monde, au lieu de faire ça sur une île déserte, la nuit, le dimanche et les jours fériés ? Il faut que vous m'emmerdiez encore le jour où ma femme et moi fêtons notre anniversaire de mariage ?... Poussez-vous, que je l'ausculte !

Il se pencha sur le corps inanimé, puis se redressa :

- Mesdames et messieurs, je nous souhaite à toutes et à tous de trépasser un jour comme vient de le faire cette dame : elle est morte d'un orgasme d'une violence cataclysmique. Tout son intérieur est en charpie !

Puis il se tourna vers Chambier :

- Mes condoléances, Monsieur.

Gaston leva la main et secoua la tĂŞte :

- Non non, ça ne fait rien, ce n'est pas grave. Elle n'était pas à moi.

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David GILLE
Ecrit le: mercredi 20 aoűt 2008, 16:44


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L'élection eut lieu trois jours plus tard. Ce fut Elvire Debord qui la remporta, malgré son mauvais caractère, et bien qu'elle n'ait jamais pointé le bout de son nez au DN2P (circonstance aggravante et rédhibitoire qui, normalement, aurait dû lui valoir un échec cuisant). C'était bien la preuve que les Marcepoulairois n'étaient pas misogynes, ainsi qu'on aimait pourtant à le dire. En réalité, Michel Grondin et Alonzo Lupanar avaient retiré leur candidature quand ils avaient réalisé que la fonction de Directeur de la "Maison du Folklore et des Traditions Rurales et Artisanales du Grimouillirois" serait d'un ennui mortel, puisque, depuis l'ouverture, seul un visiteur s'était présenté. Et encore, c'était le plombier venu régler la chasse d'eau.



Chapitre 22

Dans un coin du DN2P, Anatole Devison, Hilda et Judas Nanasse, Louis Fine, Charles Heston, Roch Ennrol, Rudy Mantaire, Gérard Manjouis, Roméo Etobalcon, Juliette Oviolon et Léon Alacordéon étaient assis en compagnie de Luc Astagnète, un négociant venu acheter du Pissecoul, et qui, présentement, offrait la tournée générale pour fêter ça.

La porte s'ouvrit.

- Tiens, voilĂ  Muso ! fit Judas Nanasse.

Sans un regard pour les consommateurs, la bestiole bondit sur le bar, attrapa un verre vide et le tendit à Dufermage. Puis elle désigna alternativement la pompe à bière et la pompe à limonade.

- Qu'est-ce qu'il veut ? demanda Luc Astagnète, éberlué.

- C'est évident, répondit Dufermage : un panaché ! Ça fait même le huitième cette semaine ! ajouta-t-il en tendant le panaché à Muso. Il va finir par boire mon fonds. Encore heureux qu'il n'ait pas demandé une soucoupe de cacahouètes, comme hier !

Le raton laveur vida le verre d'un trait. Puis, après avoir émis un rot tonitruant, il alla se rouler en boule à côté du chauffage pour la sieste.

- Vous avez entendu ça ? Quel porc ! fit Roméo Etobalcon.

- Mais pourquoi ne le virez-vous pas ? s'étonna le négociant en vin.

- Le virer ?... Mais vous n'y pensez pas, Monsieur Astagnète ! répondit Dufermage. Si je refusais de le servir, il se mettrait à japper. Et il n'arrêterait plus de japper jusqu'à ce que je lui verse à boire ! Je préfère sacrifier un panaché par çi par là plutôt que mes tympans et ceux de mes clients !... Fichu animal !

- Pourriture de bestiole ! ajouta Judas Nanasse en hochant la tĂŞte.

- Sale bête ! fit Samira Chécouvert en torchonnant la table.

- Vérole à fourrure ! surenchérit Fidèle Oposte.

- Cochonnerie de bestiau, va ! dit Anatole Devison en vidant son demi.

- Poubelle à pattes ! enchaîna Louis Fine.

- Saloperie à queue ! ajouta Luc Astagnète, en soulevant son verre.

- Ah non !!! braillèrent les autres. On vous aime bien, Monsieur Astagnète, mais un peu de respect, s'il-vous-plaît ! Pas d'injures !

- Mais... balbutia ce dernier, le verre en suspens entre la table et ses lèvres. Vous venez vous-mêmes de l'insulter à l'instant ! Je n'ai pas rêvé, tout de même !

- Nous, on est d'ici, expliqua Charles Heston. On a le droit ! Chez nous, on dit ce qu'on pense, et on pense parfois ce qu'on dit... mais pas quand on parle de Muso !

Juliette Oviolon leva le doigt et dit :

- Muso, c'est la mascotte du village, Monsieur Astagnète ! Il est citoyen d'honneur ! Insulter Muso, c'est comme insulter les Marcepoulairois !... Heureusement qu'il ne comprend pas ce qu'on dit, car sinon il aurait été capable de vous déchirer le pantalon ou de pisser dans votre verre !

- Il ne comprend pas ? fit Samira. Eh bien, ça reste à prouver ! Figurez-vous que l'autre jour, le lui ai demandé : "Tu veux un Tic-Tac, Muso ?", et il a hoché la tête !... Je pense au contraire qu'il comprend tout, mais qu'il se fiche de ce qu'on pense de lui !

Comme pour ponctuer les paroles de la serveuse, Muso, toujours roulé en boule et les yeux clos, émit un pet.

- Vous voyez, c'est éloquent, Monsieur Astagnète.

- Ah ? Euh... Excusez-moi, j'ignorais tout ça, fit le négociant interloqué.

Il régla la tournée et s'éclipsa au moment ou Pichon et Chambier faisaient leur apparition.

Ils s'installèrent à la table et commandèrent deux doubles Dubonnet. Puis Pichon fit "Hem, hem !". Aussitôt, comprenant que les hommes avaient à discuter de choses futiles et ennuyeuses, Hilda Nanasse et Juliette Oviolon se levèrent et allèrent rejoindre Eva Toudire et Noémie Nowinyou qui sirotaient une tisane à la table du fond.

- J'ai eu une idée, les gars, commença Pichon. Vous savez qu'il reste plus de cinq cents pierres sur le collier de la reine. C'est de l'argent qui dort et ne rapporte rien, et qu'on ne peut même pas dépenser. Aussi, Gaston et moi avons-nous détaché six diams de plus, qu'un intermédiaire va me racheter. Avec le pognon, je vais offrir un réveillon au bout du monde à quatre cents Marcepoulairois !

- Ouaouh ! fit sobrement Alonzo Lupanar.

- Un train spécial, décoré au logo du Monster Rabbit Park, emmènera tout le monde à la gare d'Austerlitz. De là, des autocars Pullman nous conduiront à l'aéroport où nous attendra un Airbus A340-600 400 spécialement affrété... Traitement VIP tout au long ! Joie, gaieté, cotillons !

- Et en quel honneur, ces largesses ? demanda GĂ©rard Manjouis.

- Gaston et moi, on en a marre d'avoir en face de nous des incultes dans ton genre, Gégé, qui ne sont même pas foutus de pointer Malte, la Grèce ou la Tunisie sur une carte, et qui pensent que le Cachemire est un pull et Ushuaïa un gel pour la douche ! Il est temps que vous sortiez un peu de derrière le cul de vos vaches et que vous voyiez le monde !

- Et qui va bénéficier de ce traitement princier ?

- Si Albert est d'accord, inscriptions au DN2P Ă  partir de demain. Premiers inscrits, premiers servis !

- Père Pichon, il y a une chose que vous ne nous avez pas encore dite...

- Quoi donc ?

- Il se passera où, ce réveillon ? Dans quel pays ?

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David GILLE
Ecrit le: vendredi 22 aoűt 2008, 17:51


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- Il ne se passera pas dans un pays, mais sur un paquebot de luxe, le "Queen Comunetruy". Embarquement à Los Angeles le 27 décembre, direction Tahiti. Réveillon à bord. Notre Airbus nous attendra à Papeete et nous ramènera en France le 8 janvier. Nous emmènerons Paul Acharbon, qui prendra en charge notre repas de réveillon sur le navire. En son absence, ce sera le Chef en second qui fera tourner les Restaurant du Presbytère. Comme vous voyez, j'ai tout prévu.

- Mais... Et nos bĂŞtes, et nos animaux domestiques ? firent GĂ©rard Manjouis et Louis Fine. On ne peut pas les abandonner pendant tout ce temps !

- C'est réglé : j'ai fait appel à des éleveurs à la retraite qui soigneront vos bêtes. J'ai également loué les services d'étudiants en vétérinariat qui s'occuperont de vos animaux domestiques contre une petite liasse. Ils séjourneront à l'Hôtel Efonepleure, dont j'ai réservé toutes les chambres... Et enfin, j'ai aussi pensé à Muso : une vieille dame de Tiquebeux, membre d'une association de protection des bêtes à fourrure, Mademoiselle Ségolène Angora, viendra s'en occuper personnellement. Elle disposera pour ça d'un gros stock de bière et de limonade... Il n'y a rien à craindre, tout est parfaitement organisé.

Comme s'il avait suivi la discussion derrière la porte, Muso fit irruption au DN2P, précédant les deux dindes moldaves au cou tordu qui accueillaient habituellement les visiteurs au MRP. Elles se dandinèrent jusqu'au milieu de la salle.

- Ah, ils sont là !!! fit Chambier en passant la porte à son tour, essoufflé. Figurez-vous que ce foutu raton laveur leur a ouvert l'enclos, puis tous les trois ont traversé le village, lui en tête, elles derrière, dodelinant du croupion jusqu'ici.

- On croit rĂŞver ! fit Pichon.

Muso sauta sur le bar, et, comme d'habitude, désigna la pompe à limonade et la pompe à bière. Il montra les deux dindes, puis se désigna lui-même de l'index en le pointant vers sa poitrine. Le message était clair. En pestant, Dufermage tira trois panachés.

Muso vida son verre, s'essuya la bouche avec son avant-bras en faisant : "Ahhhhhh !". Puis, une fois encore, il rota bruyamment. Les deux dindes, quant à elles, exprimèrent leur satisfaction en lançant un cri qui ressemblait à un coup de trompette de Dizzy Gillespie, ce qui perça les oreilles des consommateurs. Enfin, le trio repartit comme il était venu.

- On va encore devoir supporter ça longtemps ? s'exclama Salazar Therminusse. Un de ces jours, il fera copain-copain avec une horde de sangliers ou avec des politiciens, et les amènera ici ! Il se croit vraiment tout permis, ce bestiau de malheur !

- Si vous voulez mon avis, ajouta Charles Heston, tout ça c'est la faute des fumelles qui le dorlotent, le cajolent et le prennent en photo du matin au soir, et aussi des gamins qui le caressent et lui offrent des friandises. Ça doit lui monter au ciboulot !... L'autre jour, la petite Marie, la gosse de Valérie et Henri Vegoche, le trimballait dans sa poussette : il avait la tête sur l'oreiller, était roulé jusqu'au cou dans des draps en satin, et ronflait comme une forge !... Vivement le printemps, qu'il déguerpisse ! Ce n'est plus tenable !

Quelques secondes passèrent, puis Fidèle Oposte lâcha :

- Dire qu'on ne le verra plus pendant la quinzaine de jours que durera notre voyage... Je suis chagrin.

- Oui, rien que d'y penser, il me manque déjà ! ajouta tristement Salazar Therminusse, en regardant le fond de son verre vide qu'il faisait rouler entre ses paumes.




Les préparatifs allèrent bon train. On prépara les valises dans la fièvre ou la sérénité pour les uns, et dans la buanderie pour les autres. Maintenant que Pichon s'était élevé de facto au rang de Tour-Operator, il décida qu'il était temps de s'acheter une conduite et un nouveau maillot de bain. Il fit le tour des familles en catimini et en vélo, pour s'assurer que le poids maxi de bagages était respecté. Egalement, il prodigua des recommandations à tout le monde, et des soins à Jessie Malozover qui avait mal aux ovaires. Enfin, il dispensa des conseils éclairés sur les meilleures huiles solaires et Emile Edessan de tondre sa pelouse.

Le 27 décembre, à 6H du matin, le train spécial marqué "Monster Rabbit Park Express" s'élança, emportant les quatre cents Marcepoulairois vers Paris. De là, une dizaine de cars les conduisit à l'aéroport Charles-de-Gaulle.

Les Pichon et Chambier, qui avaient déjà fait un tour du monde après la découverte du collier de la reine, se prenaient pour des initiés et des vétérans de l'aviation. De ce fait, Pichon s'autorisa quelques plaisanteries douteuses. En sa qualité d'affréteur, il possédait la liste du personnel de bord. Il chercha le nom du pilote : "Commandant Jean-Pierre Mercier". Il attendit d'être dans la file d'embarquement, puis il dit, assez fort pour que tout le monde l'entende :

- J'espère que nous n'aurons pas le commandant Mercier ! C'est un ivrogne notoire ! Il y a deux jours, il a failli s'écraser à l'atterrissage ! Et ce n'était pas la première fois... De plus, il paraît qu'il pilote nu, avec un chapeau de Napoléon sur la tête !

- C'est quoi, déjà, son nom ? insista Chambier.

- Mercier. Commandant Mercier...

- Ah, le commandant MERCIER !

Immédiatement, à la grande joie de Gaston et d'Ernest, l'inquiétude se lut sur tous les visages.

Mais Pichon ne s'était pas borné à cette seule facétie. C'était également lui qui avait choisi les films qui seraient diffusés sur les écrans de télévision à bord : "Le Crash du vol 331", "TB-197 ne répond plus" et "Y a-t-il un pilote dans l'avion ?". Et, pour la croisière, il avait sélectionné "L'odyssée du Poséidon, "En pleine tempête" et "Titanic".

Les Marcepoulairois montèrent à bord de l'Airbus et répondirent poliment aux hôtesses qui les saluaient en leur offrant des bonbons acidulés et des carrés de chocolat. Ils s'extasièrent sur la décoration intérieure et le nombre de fauteuils.

- C'est grand ! fit GĂ©rard Manjouis.

- C'est beau ! fit Eva Donchiet.

Léonce Delékip se tourna vers sa femme et ses neuf enfants, et lâcha :

- Ça m'étonnerait que ce truc puisse voler. Qui veut parier ?

Yolande, Ernest et Gaston prirent place en première classe, en compagnie des vétérans du village. La classe affaires fut occupée par les anciens, et la classe touriste par le reste de la troupe.

Quand tout le monde fut installé, un steward posa le cul-de-jatte Hakim Fémal contre la porte pour la caler. Les hôtesses passèrent ensuite dans les allées afin de vérifier que les casiers pour les bagages à main étaient bien fermés et les ceintures de sécurité bouclées. Puis l'une d'elles prit le micro pour indiquer où se trouvaient les gilets de sauvetage, et comment les enfiler.

- Champagne pour tout le monde ! brailla Pichon, l'interrompant.

- Lorsque nous serons en vol, Monsieur, répondit aimablement l'hôtesse.

- Alors une bière pour mon ami Gaston et moi !

- Désolé, nous ne pouvons pas servir de boissons tant que nous sommes au sol.

- Bon, ben alors décollez, quoi !... J'ai soif !

Un autre voix sortit des haut-parleurs, masculine celle-lĂ  :

- Mesdames et Messieurs, nous allons décoller dans un instant...

- Aaaaaah ! firent les Marcepoulairois, Ă  l'unisson.

Puis la voix poursuivit :

- Le commandant Mercier et son Ă©quipage vous souhaitent la bienvenue Ă  bord...

- Oooooh ! firent les Marcepoulairois.

Il y eut quelques secondes de silence pendant lesquelles les passagers déglutirent, puis on entendit un énorme brouhaha.

- Je veux descendre ! brailla Sancho Pansu.

- Moi aussi ! fit Eugène Eupadeplesir en se levant. Ouvrez la porte !

- Laissez-nous descendre ! Tout de suite !!! hurlèrent James Sessin et Aude Tamindla.

- Pas question que je reste dans un avion piloté par un soûlographe ! vociféra Pierre Kiroul, que deux stewards essayaient de maintenir sur son siège.

- Votre pilote est un ivrogne ! hurla Anatole Devison. Tout le monde le sait ! De plus, il paraît qu'il pilote nu !... Laissez-moi sortir d'ici, ou je casse tout !

Les hôtesses n'étaient pas tombées de la dernière pluie. Elles connaissaient toutes les plaisanteries traditionnelles, y compris les plus mauvaises. Aussi cherchèrent-elles immédiatement qui, parmi les passagers, se marrait. L'une d'elles s'arrêta devant Pichon et Chambier : les deux compères se tenaient le ventre et se tapaient sur les cuisses en hurlant de rire.

- Depuis que les spots télé pour les assurances ont fixé le niveau inférieur de la stupidité humaine, fit-elle d'un ton sec, cette plaisanterie a été classée dans la catégorie MMA -10, ce qui est une sorte de record... Je vais vous passer le micro, vous allez rassurer tout le monde, Monsieur. Sinon nous ne pourrons pas décoller.

- C'est bon, c'est bon, j'y vais, fit Pichon en se levant. Si on ne peut plus rigoler !

Il prit le micro, expliqua la plaisanterie et parvint à calmer tout le monde. Dès que l'avion fut en vol et l'autorisation de détacher les ceintures donnée, il y eut un rush vers les toilettes. Le gag de Pichon avait eu une fâcheuse répercussion sur le transit intestinal des passagers.

Le vol vers Los Angeles se déroula sans encombres. Mais jamais, de mémoire d'équipage, on n'avait servi autant de boissons alcoolisées sur un vol de la compagnie. Les hôtesses avaient même vu une mère de famille verser une lampée de cognac dans le biberon de son enfant. Une heure après le décollage, presque tout le monde ronflait déjà. Ces Marcepoulairois venaient d'une autre planète !

Pichon et Chambier avaient bien tenté de mettre de l'ambiance en tirant des bas Nylon de Yolande par dessus leur tête afin de se faire passer pour des terroristes, mais tout ce qu'ils obtinrent fut :

- Vos gueules, on veut dormir !




Ils arrivèrent à Los Angeles International Airport à 18H30, heure locale, après un vol sans escale et sans histoire de plus de onze heures. Les formalités de douane furent vite expédiées. Dehors, une ribambelle de limousines les attendaient pour les transporter au port maritime de L.A.

Il était 21:30 lorsqu'ils se retrouvèrent au pied de la passerelle du gigantesque paquebot Queen Comunetruy qui brillait de tous ses feux, et dont la coque immaculée était éclairée par une rampe de lampes surpuissantes. A l'initiative de Pichon, une fanfare les attendait, qui leur donna l'aubade en interprétant "Douce France" sous l'oeil étonné des autres passagers.

- C'est un bateau, ça ? fit Yolande, le nez en l'air.

- C'est remarquablement laid ! commenta Yvan Sapioche en regardant les gigantesques superstructures. On dirait une barre HLM de Sarcelles posée sur la coque d'un tanker !

- Assez causé, montez à bord. On nous attend pour dîner, ordonna Pichon.


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castafiore
Ecrit le: vendredi 22 aoűt 2008, 22:20


RĂ©volutionnaire piscicole


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Les 400 participants montèrent en file indienne sur le pont d'embarquement du navire. Ils défilèrent devant les préposés au service qui les attendaient pour les conduire dans leurs cabines. Puis ils furent dirigés à travers les sept étages du bâtiment.

- Ne me laisse pas, dit Yolande Ă  Ernest en lui donnant la main, je vais me perdre.

Les trois dirigeants du MRP avaient droit à deux suites spéciales avec vue sur la mer, en première classe au dernier étage. Ils suivaient leur guide, traversèrent une immense salle aux grandes baies vitrées qui faisaient la hauteur du navire. Puis ils montèrent dans trois ascenseurs, apercevant d’autres salles disposant de bars, de tables, de fauteuils moelleux, de tables de jeux, ils lisaient les noms qui étaient inscrits sur les portes : jacuzzis, hammams, saunas, salle de musculation, piscine couverte, solarium.

- C’est interminable ! Quand arriverons-nous dans nos chambres ? demanda Gaston à l’employé philippin.

- Plus qu’un étage, lui répondit le garçon, dans un français impeccable.

- Vous parlez sacrément bien notre langue, dit Ernest.

- Oui, j’ai fait mes études en France.

- Pourriez-vous nous dire qui dirige le paquebot ? demanda Yolande.

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David GILLE
Ecrit le: samedi 23 aoűt 2008, 00:22


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- Des instruments de navigation et des ordinateurs ! répondit le Philippin.

- Je veux dire : quel est le nom de la personne qui conduit ce bateau ?

- Je l'ignore, Madame. Je ne fais pas partie du personnel de navigation, mais du personnel de service. Nous passons d'un paquebot à l'autre à longueur d'année. Alors les noms des marins, hein...

Les Pichon découvrirent leur cabine : une splendeur ! Il y avait là un gigantesque lit à deux places dans lequel on aurait pu, en plus, inviter à dormir les membres de la Garde Républicaine sans que leurs coudes ne se touchent, des meubles en acajou, une baie vitrée donnant sur un petit balcon; et une salle de bain digne d'un palace, avec une robinetterie dorée et un jacuzzi dans lequel on aurait pu baigner une vache.

- Pas mal ! fit Yolande sobrement, pour cacher son Ă©motion. C'est encore mieux que le Prosit de Catherine et de Zel !

Le Philippin disparut, remplacé par un porteur qui leur livra leurs valises, empilées sur un chariot.

- Bonsoir Messieurs-dames ! fit-il. Voici vos bagages.

- Vous aussi, vous parlez rudement bien le français ! fit Yolande.

- Ben c'est normal : je suis de Roubaix.

- Ah... Dites-moi, comment s'appelle la personne qui conduit ce bateau ? Vous savez, comme ceux qu'on voit dans les films, qui ont une casquette à visière, une chemisette blanche avec des machins dorés sur l'épaule, et qui sont les derniers à quitter leur navire quand il coule ?



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castafiore
Ecrit le: samedi 23 aoűt 2008, 09:42


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- Le pacha ? C’est Thomas Demisaine, répondit l’employé.

- Pouvez-vous nous dire comment on rejoint la salle Ă  manger ? demanda Ernest.

- Laquelle ?

- Celle oĂą on mange et oĂą on boit.

- Il y en a huit : une pour les apéros, une pour les digestifs, trois grandes salles pour la bouffe, une pour les brunchs, une pour les cafés, et une pour les pousse-cafés.

- Et pour les glaces ? minauda Yolande.

- Là, ma petite dame, c’est le coin pâtisserie. Vous avez 4 salons de thé…

- C’est très bien tout ça, mais on veut celle où l’on mange.

- Vous reprenez l’ascenseur 3, vous allez au premier étage, vous tournez à bâbord après la porte du hammam, puis à tribord au niveau de la salle de musculation, après vous vous repérez au bruit, vous ne pouvez pas vous tromper. Bon séjour à bord ! dit le matelot en refermant la porte.

- Je n’ai rien compris à ce qu’il nous a raconté ! dit Ernest en prenant une minuscule bouteille de whisky dans le frigo. Mais en attendant je remets du carburant. Tu en veux Gaston ? dit-il à Chambier qui venait d'entrer dans la cabine.

- Je veux bien.

Les deux hommes s’installèrent sur le moelleux canapé après avoir sorti toutes les bouteilles du mini-bar. Pendant ce temps, Yolande rangea avec soin sa belle robe de soirée et le costume d'Ernest sur des cintres, et les suspendit dans le placard qui sentait bon le bois de peuplier.

- Bâbord, c’est à gauche ou à droite ? demanda Ernest.

- C’est à droite, dit fermement Gaston.

- Non, c’est à gauche, dit Yolande se dirigeant vers un hublot.

Ils entendirent un long sifflement et sentirent qu’ils s’élevaient lentement.

- Nous partons, dit Yolande, c’est magnifique !

Le Queen Comunetruy quittait la baie de San Pedro dans un virage majestueux.

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castafiore
Ecrit le: samedi 23 aoűt 2008, 21:41


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Au même moment, Germain pénétrait dans l’immense salle à manger baptisée "Salle Gauguin". De superbes reproductions des tableaux du peintre attiraient immédiatement le regard, qui se portait ensuite vers les tables de six, couvertes de nappes aux couleurs chamarrées. Quelques boxes préservaient l’intimité des convives, mais le maire s’installa près de l’estrade sur laquelle dix musiciens jouaient des mélodies sirupeuses.

Peu Ă  peu, la salle se remplit. A 22H45, chacun se trouvait Ă  sa place.

- Où sont Gaston, Ernest et Yolande ? demanda l’édile à Maud Herfokeur qui écoutait avec intérêt cette musique nouvelle.

- Je ne sais pas, personne ne les a vus depuis que nous sommes montés sur le paquebot.

- Ne me dites pas qu’ils se sont endormis ?

- Je ne dis rien, je dis seulement que personne ne les a vus.

Une voix profonde surgit des hauts-parleurs :

- Le Commandant Thomas Demisaine vous souhaite un bon appétit.

- Merci, répondirent-ils tous.

- Je garde les places, dit Germain en faisant signe à un groupe d’Italiens qui s’apprêtaient à s’asseoir à sa table.

Le repas fut raffiné, le roulis, presque imperceptible, n’entamait pas l’appétit des convives qui quittèrent la salle deux heures plus tard et se mirent à explorer le paquebot.

Germain se dirigeait vers sa cabine pour prendre une serviette de bain et aller au spa, lorsqu'au deuxième étage, au bout du couloir, il vit apparaître Yolande radieuse au bras d’un homme au costume étincelant de blancheur. Il portait une casquette, blanche elle aussi, bordée d’un fin liseré d’or, des galons noirs sur les épaules et des gants blancs. L’homme avait un corps d’athlète d’une élégance naturelle, un visage aux yeux bruns pétillants d’intelligence, des cheveux coupés courts. Ernest et Gaston les suivaient en grommelant.
Ils se dirigèrent vers Germain.

- Germain, je te présente le commandant de bord, fit Yolande avec assurance.

- Debord ? C’est un parent du docteur ?

- Non, le commandant du navire, le pacha, Thomas Demisaine. Thomas, je vous présente Germain Poileux, maire de Saint-Marcellin.

- Bonjour Monsieur Poileux, dit le Commandant avec un fort accent américain, je vous rends votre divine Yolande, mes amitiés, chère madame et peut-être "A bientôt" comme on dit chez vous en France ! ajouta-t-il en lui baisant délicatement la main. Puis il fit demi-tour et repartit.

- Mais oĂą Ă©tiez-vous, tous les trois ? demanda Germain, je vous ai attendus pendant tout le repas.

- Pas un mot, grogna Gaston.

- Silence, dit Ernest.

- Il est délicieux, n’est-ce pas ? affirma Yolande extatiquement. Puis, d’un coup, virevoltant comme une libellule :

- Allons, allons, que fais-tu avec cette serviette ?

- Je vais au spa, répondit Germain.

- Allons au spa de ce pas, dit Yolande pétillante et mutine. Quelle aventure ! Nous avons tourné comme des fous dans ce paquebot et nous le connaissons sur le bout des doigts. C’est une merveille. Nous sommes arrivés dans la cabine du Commandant, c’est incroyable toute cette machinerie ! Puis il nous ramenait lorsque nous t’avons rencontré. Je crois que nous allons passer de merveilleuses journées…

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David GILLE
Ecrit le: dimanche 24 aoűt 2008, 13:28


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- On croit rêver ! fit Ernest. Au spa ? Tu veux aller au spa ?... Je ne sais même pas ce que c'est, un spa ! Le seul spa que je connaisse, c'est celui de Francorchamps, et c'est une course de bagnoles !... Je te rappelle qu'il est minuit passé, et que nous n'avons encore rien bouffé de la soirée à cause de cet imbécile de marin galonné qui nous a promené à travers ce rafiot !... Va voir ta course de voitures. Gaston et moi, on va grailler !

- Bien dit, vieux gars ! ajouta Chambier.

Les deux compères plantèrent là Germain Poileux et Yolande, et partirent à la recherche d'un restaurant de nuit où ils se bourrèrent de spare-ribs et de bières avant de retourner à leurs pénates vers deux heures du matin.

Le commandant Demisaine, quant Ă  lui, monta dans la passerelle pour s'assurer que tout allait bien. Son second demanda :

- Qui c'était, cette dondon et ces deux vieux qui vous ont tenu la jambe pendant toute la soirée, commandant ?

- C'étaient les Pichon, ces gens qui ont réservé quatre-cents places à bord, et l'un de leurs amis. La femme voulait que je leur fasse visiter le bâtiment, je ne pouvais pas refuser. Elle m'a soûlé ! Je vais me coucher.

Demain serait un autre jour.

Le 28 et le 29 décembre, il ne se passa rien de particulier, sinon que Maud Herfokeur et Paul Acharbon, les deux vedettes du bord qui faisaient régulièrement la Une des médias, croulèrent sous les demandes d'autographes au point qu'il fallut diffuser des messages par haut-parleurs pour demander qu'on leur fiche la paix.

Tout le monde occupait son temps à visiter le paquebot dans ses moindres recoins, et à faire la queue aux salons de massage et de soins de beauté. Pichon, dans sa grande mansuétude et sa grande générosité de milliardaire, avait octroyé un crédit de deux mille Euros à chaque Marcepoulairois, homme, femme et enfant. La famille de Léonce Delékip disposait ainsi de vingt-deux mille Euros, pactole que Madame Delékip commença à entamer en dévalisant les boutiques de fringues en prévision de la soirée du réveillon.

Cette soirée du réveillon, pendant laquelle Paul Acharbon serait aux fourneaux et oeuvrerait au bénéfice exclusif des Marcepoulairois, promettait d'être mémorable autant sur le plan de la gastronomie que sur celui de l'élégance.

Dans l'après-midi du 29 décembre, Yolande, qui avait oublié son peignoir, retourna à sa cabine. Sur son chemin, une porte s'ouvrit et une silhouette se détacha dans le chambranle, déposant un plateau repas sur le sol. Yolande demeura interdite :

- Catherine !... Ça alors ! Toi ici ?

- Euh, bonjour Yolande, fit Catherine Lapilule, manifestement gênée.

- Mais... que fais-tu sur ce bateau, Catherine ? Je suis abasourdie !

- Eh bien, il se trouve que Zel et moi sommes l'un des principaux actionnaires de Queen Comunetruy Cruises...

- Mais Catherine, si vous vous montrez, ça va être l'émeute !!! Vous allez être réduits en chair à saucisse ! Ne sais-tu pas que nous sommes ici avec quatre cents Marcepoulairois ?

- Nous l'avons appris lorsqu'il y a eu cet appel par haut-parleurs au sujet de Maud et de votre cuistot, répondit Zel qui venait d'apparaître à son tour. C'est pour ça que nous ne quittons plus notre cabine.

- Mon Dieu, mon Dieu, si quelqu'un vous voit, ce sera un bain de sang ! Ne vous montrez surtout pas !... Mon Dieu, mon Dieu !...

- Ne t'inquiète pas, nous resterons enfermés. Mais pas un mot sur notre présence ici, hein, Yolande ? On compte sur toi.

- Bien entendu, je ne dirai rien. Pas mĂŞme Ă  Ernest... Je n'en reviens pas ! Vous, ici ! Mon Dieu, mon Dieu !

Dix minutes plus tard, Yolande rejoignit Chambier et Pichon au bord de la piscine.

- Devinez qui je viens de croiser ? dit-elle.

- Une graine d'intelligence ? suggéra Pichon, qui n'avait toujours pas pardonné à sa femme l'épisode de la visite du paquebot.

- Zel et Catherine ! Ils sont sur ce bateau !

- Hein ?... Tu es folle ?

Yolande raconta les circonstances de leur rencontre.

- Eh bien, fit Chambier, si jamais on s'ennuie sur ce rafiot, je suis d'avis qu'on diffuse la nouvelle parmi les Marcepoulairois, en précisant le numéro de leur cabine ! Ça mettra un peu d'animation, et ça donnera aux femmes de ménage l'occasion de passer la serpillière !

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David GILLE
Ecrit le: dimanche 24 aoűt 2008, 20:12


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On était le 31 décembre. La soirée de réveillon, tant attendue, était enfin arrivée.

Dès 20H, la gigantesque salle Gauguin commença à accueillir les trois mille passagers qui participaient à cette mémorable croisière vers Tahiti. Les quatre cents Marcepoulairois, eux, eurent droit à une salle plus petite, mais bien plus richement décorée : le fabuleux salon Amphitrite, avec son bar privé attenant, "le Tiaré", et sa cuisine privée où oeuvrait Paul Acharbon.

Afin de ne pas exacerber les jalousies, il convenait en effet que le vulgum pecus ne puisse découvrir le menu époustouflant préparé par Paul Acharbon pour les Marcepoulairois : duo de caviars d'Iran (gris de béluga et caviar doré de béluga albinos), foie d'oie poêlé à l'huile d'argan et déglacé au vinaigre de Xérès, servi avec un pain d'épices et une sauce aux raisins Crimson Seedless d'Egypte macérés dans du Banyuls; suivi d'un train de côtes de boeuf Angus d'Ecosse accompagné d'une crème brûlée au basilic et aux tomates séchées, et d'une sublime purée de melons et de potirons battue en mousse avec du beurre de baratte et un soupçon de raifort frais. Après une boule de glace au genièvre arrosé de vodka à l'herbe de bisons, on servirait le plateau de fromages et une salade de frisée de Meaux et de chayote à la menthe, aux herbes de la montagne et aux lardons fumés, assaisonnée au réduit tiède de volaille gras et au vinaigre balsamique de Modène 20 ans d'âge. Enfin, ce repas serait couronné par une marjolaine et une glace à la prune et à la cerise arrosée de vieille rakia greyana. Avant le départ de St Marcelin, le sommelier du Restaurant du Presbytère avait choisi les boissons avec soin : vodka Zubrowka, Château d'Yquem 1997, Pétrus 1988, Château Ducru-Beaucaillou 1970, champagne Krug millésime 1995, et une sélection rare de cafés Blue Mountain de la Jamaïque. Enfin, Paul Acharbon avait toujours insisté pour que l'eau servie à table ait une réelle saveur : il avait décidé de confier les papilles de ses convives à l'eau minérale Vernière du Haut-Languedoc.

Les autres passagers du Queen Comunetruy, eux, auraient droit au repas concocté par le Chef cuisinier du bord, qui ne s'était pas vraiment foulé la rate : une tranche de saumon d'élevage et une tranche de foie gras de canard de chez Costco USA, une cuisse de dinde sèche comme un coup de trique, servie avec des airelles en boîte, des marrons étouffe-chrétien et des pommes sautées à la graisse d'oie, un trou normand au calva; puis fromages pasteurisés, profiteroles au chocolat et glaces en boule à volonté. Le tout, arrosé d'un muscadet californien et d'un bourgogne Passe-tout-grain de Crimée. Eau fraîche "Château la Pompe" en pichet, compris dans le forfait. Café Grand-Mère en sus.

Yolande Pichon avait fait valoir auprès du commandant Demisaine qu'elle était à la fois comtesse et épouse de son plus gros client pour qu'il accepte de la mener jusqu'à sa table, lorsque tout le monde serait installé. Il ne put refuser.

Elle apparut à son bras à 21H30, quand chacun crevait déjà de faim et commençait à bouffer le pain avec de la moutarde tartinée dessus. En cuisine, Paul Acharbon s'arrachait les cheveux.

Yolande était rayonnante. Elle portait un fourreau Prada en lamé de couleur émeraude au décolleté vertigineux, acheté à l'époque à Chalamond-les-Flots. Mais elle avait pris du poids depuis, et l'un de ses tétons avait des velléités d'indépendance. Sur sa tête trônait un diadème en strass, et à ses oreilles pendaient ses fameuses boucs d'oreilles en diamants. Son poignet gauche s'ornait d'une montre en plaqué or gagnée en passant une commande de serviettes aux Trois Suisses; et ses doigts aux ongles incarnats étaient chargés d'un nombre impressionnant de bagues colorées, défiant toute description.

Le commandant Thomas Demisaine la mena à sa chaise comme un père emmène sa fille à l'hôtel pour la marier. Il lui fit un baisemain, et, avant de tourner les talons, dit à Pichon :

- Je vous rends votre bien, Monsieur le comte ! Gardez-le précieusement !

Yolande eut l'immense plaisir d'entendre crépiter les applaudissements.

- Eh bien, il était temps ! fit Pichon. Qu'est-ce que tu fichais ? Acharbon a déjà menacé deux fois de remplacer ses plats par du pâté Hénaf ! Mettre trois heures pour enfiler ce truc et se peindre les ongles, on croit rêver !

Enfin, on put passer aux choses sérieuses : dîner. Pendant une heure, on n'entendit plus que les clapotis des mâchoires qui se fermaient et s'ouvraient, entrecoupés de cris de jouissance.

Au moment du café, l'orchestre s'installa, prêt à lancer le bal.

C'est alors qu'une petite boule grise traversa la salle comme une fusée, et sauta sur les genoux de Dufermage.

- Mais... Je rêve ! C'est Muso !!! s'exclama-t-il. Comment est-il arrivé sur ce bateau ???

- MUSOOOOOOOO ! OUAIIIIIIS ! braillèrent des dizaines de gosses, qui se levèrent et se ruèrent vers la table de Pichon.

- Muso ? fit ce dernier. Ça alors !... Je le croyais à St Marcelin, sous la garde de Mademoiselle Ségolène Angora ! C'est pas croyable, ça !!! J'aimerais bien qu'on m'explique !

- Je... hum... fit Salazar Therminusse en baissant la tĂŞte.

- Quoi ?

- Ben... C'est moi qui l'ai emporté ! Il était dans ma cabine, j'ai sans doute mal refermé la porte.

- QUOI ?

- C'est moi qui l'ai emporté ! Il était dans ma cabine, j'ai sans doute mal refermé la porte.

- On avait compris ! dit Defermage. Mais comment n'est-il pas mort dans la soute de l'avion ? Elle n'est pas chauffée ! C'est incroyable, ça !

Il y avait maintenant foule autour de la table. Les gamins se bousculaient pour serrer la patte du raton laveur et lui prodiguer des caresses.

- Cette saloperie de bestiole n'était pas dans la soute, fit Salazar Therminusse. Il était sous mes pulls, dans mon bagage à main placé dans le compartiment au-dessus de mon siège. Je lui donnais à bouffer et je lui changeais sa couche quand tout le monde dormait.

- Ah, parce que tu lui avais mis une couche ? demanda Chambier, stupéfait.

- Ben évidemment ! Tu tiendrais, toi, sans aller aux cabinets pendant onze heures d'affilée ?

- Mais pourquoi ?

- C'est Ă©vident : pour ne pas qu'il crotte ou pisse dans mes pulls, cet immonde porc !

- Mais non, espèce d'idiot ! Ce que je te demande, c'est pourquoi tu l'as emporté, pas pourquoi tu lui as mis une couche !

- Eh bien, Fidèle et moi, on s'est dit comme ça, que...

Pichon l'interrompit et se tourna vers Fidèle Oposte :

- Ah, parce que tu Ă©tais au courant ?... C'est du propre !

- Ben...

- On croit rĂŞver ! dit Pichon.

- Faut comprendre, continua Salazar avec véhémence. On s'y attache, à ces cochonneries de bestiaux ! Surtout à cette vérole ambulante de Muso !

A cet instant, un sous-officier en veste blanche, l'enseigne de vaisseau de 1ère classe Bertrand Zatlantic, écarta les enfants qui entouraient Muso et s'approcha :

- Il est interdit de faire monter un animal Ă  bord, Messieurs-dames. Surtout un animal sauvage ! Je crains qu'il ne faille le mettre en cage Ă  fond de cale...

- Pas question ! braillèrent à l'unisson Dufermage, Fidèle Oposte et Salazar Therminusse. Et d'abord, il n'est pas sauvage : on se connaît, figurez-vous !

- Je suis désolé, insista l'enseigne de vaisseau.

Plusieurs enfants commençaient à pleurer. D'autres bourraient les tibias du marin de coups de pieds. Pichon se leva et entraîna Bertrand Zatlantic à l'écart. Deux minutes plus tard, il revint s'asseoir.

- C'est arrangé, fit-il. Il va aller lui acheter une laisse à la maroquinerie du bord. Nous pourrons le garder à condition de ne pas le laisser courir en liberté.

- Ouaiiiis ! hurlèrent les gamins. C'est trop cool !

Pour fêter ça, Muso subtilisa la flûte de champagne de Dufermage et la vida. Tous les convives assis à la table se bouchèrent instinctivement les oreilles, attendant le rot. Il arriva, mais il fut couvert par les premiers accents de "Vive la vahiné" interprété par l'orchestre, en pleine forme.

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castafiore
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Musiques créoles, antillaises, reggae, disco, rock, il y en avait pour tout le monde. Les jeux de lumière sur la piste de danse affinaient les formes et créaient une atmosphère détendue et chatoyante. Les longues robes des femmes virevoltaient, leurs pieds se mêlant aux pieds des hommes en costumes, dans un gracieux mélange. Yolande regardait le spectacle avec mélancolie et se sentait d'humeur langoureuse.

- Je ne sais pas ce qu'ils ont tous ce soir. C'est sans doute ce repas qui me reste sur l'estomac ! dit Gaston à Ernest, en sifflant sa troisième bouteille de Bordeaux.

- Une minute ! lui répondit son camarade en dressant l'oreille.

Yolande aussi dressa l'oreille. Si Ernest ne lui proposait pas de danser maintenant, il Ă©tait un goujat !

- Tu viens danser, chou ? dit-il en se penchant vers Yolande.

- Oui, mon bon petit père Pichon, répondit-elle, gouailleuse.
L'orchestre venait d'entamer "My only fascination" de Demis Roussos, et cette chanson faisait partie de leurs secrets d'alcĂ´ve les plus intimes.

- Allez-y les jeunes, ne vous gênez pas pour moi ! leur lança Gaston, compréhensif.

Ils se levèrent, se glissèrent au milieu des danseurs et s'enlacèrent tendrement. Ernest, discrètement, poussait sa femme vers l'issue de secours qu'il ouvrit prestement à la fin du morceau.

- Soyons fous ! dit-il en prenant Yolande par la taille et en s'engageant dans la coursive.

- Pas ici, on pourrait nous voir. Cherchons un endroit plus discret, répondit-elle.

Se tenant la main, ils arpentèrent les coursives, montèrent et descendirent dans les étages, pour se retrouver épuisés mais ravis sur le pont promenade.

Dans le ciel les Ă©toiles brillaient de mille feux, l'odeur des embruns enflammait leurs sens.

- LĂ , regarde, dans ce canot nous serons bien. On dirait qu'il est fait pour nous ! dit Yolande.

Ils grimpèrent sur la petite échelle de bord, Ernest poussant sa femme. Ils se retrouvèrent l'un sur l'autre au milieu des cordages. Le canot tangua légèrement sous la poussée des deux corps, lesquels, au milieu de leurs ébats, firent sauter la manette de sécurité. Le frêle esquif se détacha lentement et descendit en douceur le long de la coque du paquebot.

A l'intérieur de la chaloupe, c'était un grand remue ménage. Soudain, les deux solides poulies qui retenait le canot émirent un formidable grincement et les deux tourtereaux se sentirent basculer dans le vide. Puis il y eut un arrêt brutal.

- Mon Dieu, où sommes-nous ? s'écria Yolande se redressant. Ernest regarde !…

Le vieux laissa échapper un cri d'horreur : ils étaient perchés au-dessus des flots qui tourbillonnaient à des dizaines de mètres en-dessous d'eux.

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- Eh bien, on est dans le caca, ma poule ! commenta-t-il en se redressant.

- Et si j'appuyais sur ce truc ? fit Yolande.

- Nooon ! hurla Ernest.

Trop tard. On entendit le sifflement des bouts qui se déroulaient à toute vitesse sur les poulies, et le canot fila.

- Ahhhhh ! hurla Yolande, l'estomac dans la gorge.

- Fais gaffe Ă  tes boucs d'oreilles ! hurla Pichon en retour.

Lorsque l'esquif entra en contact avec les flots, le choc fut rude. Le couple Pichon se retrouva cul par dessus tête. Yolande et Ernest étaient trempés, ils avaient mal aux dos, mais étaient intacts. Ils regardèrent le Queen Comunetruy s'éloigner dans la nuit de la St Sylvestre, brillant de tous ses feux.

- Ben nous v'là bien ! fit Pichon. Ça fait la deuxième fois que je suis naufragé. La dernière fois, c'était en pédalo, avec ce bon vieux Gaston. Je me demande si je le reverrai...




Dans la passerelle, un voyant s'alluma. L'aspirant Parlené annonça :

- Chaloupe à la mer, Commandant ! La N°26 bâbord.

Thomas Demisaine se pencha sur un micro et ordonna :

- Barre à tribord ! En arrière toute !

Une voix sortit du haut-parleur :

- Barre à tribord, en arrière toute. Bien compris, Commandant.

Aussitôt, le bâtiment se mit à frémir légèrement sous la puissance des hélices inversant leur mouvement. Demisaine se tourna vers son officier en second, René Coutille :

- Cornez !

L'homme appuya sur un gros bouton, et une sirène se fit entendre.

- Allumez les projecteurs de recherche... Radar de surface ?

- Rien encore, Commandant.

- Dès que vous l'accrocherez, prévenez-moi.

- A vos ordres, Commandant.





Pichon farfouilla dans le canot et trouva une lampe torche, des feux de détresse et une flasque de cognac.

- On est sauvé, ma poule, fit-il. On a tout ce qu'il faut !

Il joignit le geste Ă  la parole et vida la flasque de cognac d'un trait.

- Allume cette torche et dirige-la vers le bateau, ordonna-t-il en essayant de comprendre comment fonctionnaient les feux de détresse.





Le radariste annonça :

- Ça y est. Je l'ai, Commandant. Il est plein bâbord à un mille.

- Stoppez les machines ! ordonna le pacha dans le micro.

- Machines stoppées ! répondit une voix dans le haut-parleur.

- Lieutenant Tenanlieu, prenez un Zodiac et allez me chercher cette chaloupe. Prenez trois hommes avec vous.

- A vos ordres, Commandant.

- Commandant ! Il y a des gens dans ce canot ! Regardez, ils tirent des fusées de détresse et font des signes avec une lampe !

- Eh bien, qui que ce soit, ils vont m'entendre, ceux-lĂ  !





Dans la chaloupe, Yolande regarda sa montre en plaqué or, mais elle s'était arrêtée. Elle était allergique à l'eau de mer.

- Quelle heure est-il, Ernest ?

- Octod'jus ! Minuit pile !!! Bonne année, ma poule !

Ils étaient encore enlacés lorsque le Zodiac du lieutenant Tenanlieu les aborda.

- Ça va barder pour vous ! leur dit-il. Le Commandant déteste être ralenti !

- Eh bien, si vous avez une radio, prévenez de ne pas me chauffer les oreilles ! Lorsqu'on a des canots aussi dangereux que les siens, on ne la ramène pas !

Lorsqu'ils revinrent au flanc du navire, les Marcepoulairois au grand complet Ă©taient au bastingage et applaudissaient Ă  tout rompre.

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David GILLE
Ecrit le: lundi 25 aoűt 2008, 12:29


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Lorsque le pacha découvrit qu'il s'agissait des Pichon, il se calma. Surtout quand Ernest, en mentant de manière éhontée, lui raconta qu'ils s'étaient assis sur le bord de la chaloupe pour regarder le ciel, et qu'à cet instant le canot avait dégringolé, les emportant dans le vide. Il évoqua même la possibilité d'un dépôt de plainte contre les armateurs.

L'affaire arrangée, et ayant eu leur compte d'émotions, Yolande et Ernest décidèrent d'aller se coucher. D'autres Marcepoulairois continuèrent à festoyer, parmi lesquels Ollie McAronny. Il avait tenu à fêter le réveillon dans les règles de l'art écossais. C'est pourquoi il avait apporté de St Marcelin un morceau de charbon. Il le posait sur chacune des tables qu'il visitait, puis il trinquait avec les convives pour respecter la coutume. A 6H du matin, il fut le dernier à monter dans sa cabine. A 10H, il ne l'avait toujours pas trouvée, et un homme d'équipage dut le guider, le mettre au lit et le border.

Le 1er et le 2 janvier, il ne se passa rien de particulier à bord. Les passagers circulaient par petits groupes, se prélassaient dans des transatlantiques en sirotant des punchs, ou se penchaient par-dessus la proue pour admirer les dauphins et les marsouins qui se jouaient de l'étrave du Queen Comunetruy. Les enfants se relayaient pour promener Muso, qui, de toute sa vie, n'avait été l'objet d'autant de sollicitude. Trois fois par jour, Dufermage l'emmenait au bar et lui payait son panaché.

Cette douce quiétude nourrie de routine vola pourtant en éclat durant la nuit suivante.

Vers 22H, Yolande sortit de la salle de bain et se glissa entre les draps. Ernest regardait le film Titanic sur l'écran plasma géant accroché à la cloison, face au lit.

- Quoi ? s'exclama-t-elle, tu ne vas pas me dire que tu as l'intention de regarder la télé jusqu'à plus d'heure ?...

- Et alors ? Je ne te force pas à regarder ! Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?

- Ça me fait que le bruit m'empêche de dormir ! Voilà ce que ça me fait !

- Il y a des boules Quies sur ta table de nuit. Tu n'as qu'Ă  en mettre !

Yolande s'exécuta en maugréant. Puis elle lui tourna le dos. Ernest regarda le film jusqu'au bout, puis s'endormit à son tour. Il était presque minuit.

Soudain, alors qu'il était dans son premier sommeil, il fut réveillé en sursaut par la sirène du navire, qui faisaient "Woooo, woooo, woooo" à petits coups rapides. Ernest savait ce que cela signifiait, des panneaux d'information étaient affichés partout : le paquebot rencontrait un problème grave.

A cet instant, des coups sourds ébranlèrent la porte. Il bondit du lit et alla ouvrir. Un homme d'équipage se tenait là, qui lui dit :

- Vite Monsieur, enfilez votre gilet de sauvetage et rendez-vous sur le pont supérieur.

- Hein ?... Pourquoi ?

- Nous coulons !

- Un iceberg ? fit Ernest.

- Sous ces latitudes ? Vous plaisantez !

Yolande, qui avait vaguement entendu quelque chose malgré ses boules Quies, grommela :

- Grbmblmbl... S' passe, Ernest ?

Mais Ernest Pichon avait déjà sauté dans ses pantoufles, avait déjà enfilé son gilet de sauvetage et était déjà sorti de la cabine. Yolande se rendormit.

Dans la coursive, Pichon cavalait aussi vite qu'il le pouvait, essayant de se frayer un passage. La sirène faisait un boucan infernal.

- Il n'y a plus personne dans votre cabine, Monsieur ? hurla un marin en lui barrant le passage.

- Euh... Non. Laissez-moi passer ! Ça fait la troisième fois que je joue les naufragés, y en a marre ! Ecartez-vous !

Il suivit le flot des passagers jusqu'au pont supérieur, déjà noir de monde. Il repéra de l'oeil la chaloupe la plus proche, s'apprêtant à sauter dedans dès qu'il entendrait la fameuse phrase : "Les femmes et les enfants d'abord".

- Yolande n'est pas là ? brailla Louis Fine, qui venait de se glisser à ses côtés.

- Non... Euh, je ne sais pas. Elle doit être quelque part par là, mentit-il. On a été séparés dans la cohue.

A cet instant, la sirène s'arrêta. Une voix sortit d'un haut-parleur :

- Je vous remercie, Mesdames et Messieurs. Vous pouvez regagner vos cabines, l'exercice est terminé !

- L'exercice ?... fit Pichon. Quel exercice ?

- Ben oui, fit Louis Fine. Tu ne savais pas qu'on faisait des exercices d'Ă©vacuation sur les paquebots ?

- Ben non... Ces abrutis m'ont tiré du lit pour un simple exercice ? On croit rêver !

Il se dirigea vers sa cabine, essayant de trouver une bonne excuse à servir à Yolande. En effet, elle ne manquerait pas de découvrir, le lendemain, qu'il y avait eu un exercice d'évacuation durant la nuit, et qu'il l'avait abandonnée. Il devait trouver un moyen de noyer le poisson, sinon elle allait lui en faire tout un fromage. Les fumelles sont si compliquées.

Dans la coursive de 1ère classe, une dizaine de stewards attendait, passe-partout à la main, pour ouvrir les portes des cabines. Quant il eut rejoint la sienne, Pichon enleva son gilet de sauvetage et le rangea. Yolande dormait toujours. Il lui retira ses boules Quies et la secoua.

- Hein, qu'est-ce qui se passe ? fit-elle en se redressant sur son séant. Pourquoi tu me secoues comme ça, espèce d'imbécile ?

- Pendant que tu dormais, il y a eu une alerte...

- Une alerte ?... Quelle alerte ?

- Du bidon. Je suis allé jeter un coup d'oeil : c'était un simple exercice, et je n'ai pas voulu te réveiller. Tu dormais si profondément...

- Ben alors, pourquoi tu me réveilles maintenant ? Ça ne pouvait pas attendre demain ? Tu es devenu fou, Ernest ?

- Non, je ne pouvais plus attendre ! Je t'annonce que demain, nous irons Ă  la bijouterie du bord. Je veux t'acheter un collier de perles, ma poule !

- Oh, mon Ernest ! fit Yolande en tapant dans ses mains. Quelle belle surprise !

- Bon, ça va. Rendors-toi.

Il se glissa à ses côtés, éteignit la lumière et serra les poings de rage à s'en faire péter les jointures. Puis, pour se punir, il se pinça cruellement la cuisse.




Deux jours passèrent encore. En plus de ses boucles d'oreilles, Yolande arborait maintenant en toutes circonstances son nouveau collier de perles. Il était 10H, ce matin du 5 janvier, lorsqu'elle se dirigea vers la porte de la cabine, moulée dans l'un de ses fameux maillots Dolce Gabana, sous un peignoir blanc aux armes "Queen Comunetruy Cruises", qu'elle avait acheté la veille dans l'une des boutiques du bord.

- Je vais bronzer à la piscine, lança-t-elle en ouvrant la porte.

- C'est ça, c'est ça... répondit Pichon, les yeux rivés sur l'écran. Délaissant la télévision par satellite, Ernest avait préféré revoir "l'odyssée du Poséidon" qu'il avait fort apprécié sur le Prosit, à l'époque de leur voyage à Malte. Il avait un faible pour l'actrice Shelley Winters, qui, malgré son physique bien enrobé, nageait sous l'eau avec la grâce d'un dauphin.

Yolande emprunta l'enfilade de coursives qu'elle commençait à bien connaître, puis descendit par l'ascenseur au pont piscine. Au moment où elle parvint à la lumière du jour et s'apprêtait à secouer légèrement sa tête afin que ses boucles d'oreilles accrochent bien les rayons du soleil et que son collier de perles tintinnabule, quatre énormes malabars lui sautèrent dessus. Ils lui passèrent un sac en toile de jute par-dessus la tête.

- Au viol ! hurla-t-elle. A l’assassin ! Au voleur ! On en veut à ma vertu, à mon collier en perles naturelles et à mes boucs d’oreilles en diamants qualité IF, Blanc Exceptionnel monté sur or blanc ! A l’aide !

Elle sentit qu'on la soulevait et qu'on la transportait ailleurs. Puis on l'assit de force sur le sol. La brûlure sous ses fesses lui indiqua qu'elle était sur le pont chauffé par le soleil. Puis on lui arracha le sac en toile.

Elle fut terrifiée : devant elle, sur une sorte de trône, était assis un homme d'une taille imposante, portant une barbe longue de trente centimètres, les reins ceints d'un drap blanc. Sur sa tête, il portait une couronne, et avait un trident dans sa main. De chaque côté du trône se tenaient deux hommes déguisés en femmes, supposés représenter des Néréides. Devant eux, allongés sur un lit d'algues, deux travestis à perruques blondes, revêtus d'une queue de poisson, jouaient les sirènes.

- Qui ĂŞtes-vous ? balbutia Yolande. Qu'est-ce que vous me voulez ?

- Je suis Neptune, misérable mortelle ! fit l'homme d'une voix de stentor, tellement caverneuse que Yolande en eut des frissons d'angoisse.

- Qui ? couina-t-elle.

- Neptune !

- Qui ça ?...

Neptune se pencha vers les Néréïdes et lâcha à voix basse, dans un soupir :

- Putain, je crois qu'on en tient une belle, lĂ  !

Puis, Ă  voix haute, il demanda Ă  la ronde :

- Que fait-on de cette mortelle qui me manque de respect ?

- Les panards au bleu ! Les panards au bleu ! Les panards au bleu ! hurlèrent des dizaines de voix derrière Yolande.

Elle se retourna. Il y avait là un groupe compact de passagers rigolards. Parmi eux, Yolande reconnut Fidèle Oposte, Michel Grondin, Ollie McAronny, Antonin Couplet, Julia Dévers-Jeture, Eva Senprendune et Félicie Ossi. Les femmes avaient toutes les pieds bleus, et les hommes étaient mouillés comme s'ils sortaient de la douche.

- Mais que... commença-t-elle.

A cet instant, les quatre malabars l'allongèrent de force sur le pont, tandis qu'un cinquième s'approcha d'elle, muni d'un gros pinceau et d'une bassine remplie de bleu de méthylène. Il avait un sourire cruel sur les lèvres.

- Au secours ! hurla Madame Yolande Pichon Marsault de Havremont, comtesse de son Ă©tat, essayant de dominer ses sphincters. A l'aide !

Les témoins étaient hilares. Même Poséidon, dont en voyait tressauter le gros ventre, avait du mal à garder son sérieux.

- Assez perdu de temps. Procédez ! ordonna-t-il à l'attention du peintre.

Deux Néreides soufflèrent dans des conques, produisant un hululement sinistre, tandis que les deux sirènes faisaient claquer leurs nageoires. Le peintre trempa son pinceau dans la bassine et en badigeonna généreusement les pieds de Yolande, en insistant bien dans les coins. Puis les malabars l'aidèrent à se relever et l'invitèrent à rejoindre les autres. Un homme d'équipage en costume de pirate, bandeau noir sur l'oeil, perroquet en peluche cousu sur l'épaule, pilon en bois fixé sur le genou plié caché par une cape, s'approcha d'elle. Il lui remit son diplôme de Dame de la Ligne et lui offrit un verre de curaçao qu'elle avala d'un trait. Elle tremblait comme une feuille.

- Quel cauchemar ! C'était quoi, tout ça ?... demanda-t-elle à Julia Dévers-Jeture.

- Le passage de la Ligne, Madame Pichon !

- Le passage de la Ligne ?... Qu'est-ce que ça veut dire ?

- C'est une tradition sur les navires : quand on passe la ligne de l'Ă©quateur, on bizute les passagers en les baptisant ! On y a tous eu droit.

A cet instant, un nouveau passager apparut sur le pont, relax, serviette sur l'épaule, lunettes de soleil sur ne nez et une paire de tongs fluo aux pieds. Les quatre malabars se jetèrent sur lui et lui passèrent un sac sur la tête. L'un d'eux écopa d'un coup de pied dans les valseuses, mais ils réussirent à le traîner devant Neptune. On lui retira le sac.

- Qui es-tu, misérable mortel ? aboya Neptune.

- Je m'appelle Gaston Chambier, et je t'emmerde !

Pendant quelques secondes, Neptune fut décontenancé. Mais il se reprit vite et brailla :

- Quel châtiment mérite cet homme qui me manque de respect ?

- Soins de beauté ! Soins de beauté ! Soins de beauté ! hurla la foule derrière Gaston.

On saisit Chambier par les bras et par les pieds, et on le jeta dans un bassin rempli d'algues en décomposition. L'odeur de poisson crevé était pestilentielle. Chambier en ressortit aussi vite qu'il le put. Trois marins le poussèrent avec des rames contre une cloison, puis on le nettoya à l'aide de lances à incendie. Sous la puissance des jets, Chambier fut plaqué contre la paroi et tomba sur son derrière. Lorsque l'épreuve fut achevée, on lui donna une tape sur les fesses à l'aide d'une pagaie, puis on lui remit un verre de cognac et son diplôme de Chevalier de la Ligne.

La cérémonie perdura toute la journée. Mais, au fil des heures, il y eut de moins en moins de baptisés, la plupart des passagers ayant été informés par des indiscrétions de ce qui les attendait s'ils s'approchaient du pont piscine. Toutefois, Pichon y eu droit à midi, alors qu'il venait voir ce que fichait Yolande, car il était l'heure d'aller bouffer. Dans l'aventure, une Néréide perdit une dent et Neptune gagna un oeil au beurre noir.

Parmi le personnel, les marins qui passaient la ligne de l'équateur pour la première fois, n'échappèrent pas à la tradition : ils furent sanglés dans une nacelle qu'un treuil fixé au bout d'une bigue descendit le long du flanc bâbord jusqu'au au ras des flots. Puis, à la grande joie des passagers penchés au-dessus du bastingage, ils furent immergés pendant quelques secondes, et remontés, crachant, toussant et soufflant.

Ce soir-là, dans la salle consacrée à la divinité Doris, épouse de Nérée et mère des cinquante Néréides, eut lieu le grand bal des Tritons en l'honneur des nouveaux Chevaliers et Dames de la Ligne. Yolande passa de bras en bras, se laissant emporter par le tourbillon de la valse jusqu'à y perdre sa culotte. Elle se prit les pieds dedans, échappa à son cavalier (un charcutier de Vire ayant réussi dans l'andouille), et alla s'encastrer dans la grosse caisse de l'orchestre.





Dans deux jours, le Queen Comunetruy jetterait l'ancre à Tahiti. A bord, on préparait déjà la Soirée du Commandant. Le cuistot, Marcel Epoivre, était en admiration devant Paul Acharbon. Il osait à peine lui adresser la parole. Après la soirée du réveillon, il avait goûté quelques restes des plats préparés par le Chef du Presbytère de St Marcelin, et il avait envisagé de se suicider tellement c'était bon. Jamais il ne parviendrait à la cheville d'un tel maître. Il était désespéré. Il prit son courage à deux mains et aborda Paul Acharbon au bord de la piscine :

- Chef, excusez-moi de vous demander pardon de vous déranger, mais je suis très inquiet...

- Pourquoi ça, Chef ? demanda Acharbon.

- Voyez-vous, je dois préparer le repas de la Soirée du Commandant pour tout le monde, y compris pour les habitants de St Marcelin.

- Il me semble que vous vous sortez très bien, Chef.

- Pour les repas de tous les jours, peut-être. Mais la soirée du Commandant, c'est autre chose. Ils s'attendent à quelque chose d'exceptionnel. Or, après ce que vous leur avez servi au réveillon, Chef, j'ai peur qu'ils ne m'écharpent !

- Qu'aviez-vous prévu, Chef ? demanda Acharbon.

- Omelette aux truffes en entrée, puis rôti de porc pour les chrétiens, gigot d'agneau pour les musulmans et les juifs, puis...

- Oubliez tout ça, Chef !... Nous serons à Tahiti ! Servez-nous une cuisine ensoleillée, sans chichi !

- Quoi donc ?

- Un sorbet de pulpes de fruits en entrée, suivi par un Fouzitou !

- Un Fouzitou ?... C'est quoi, ça, un Fouzitou, Chef ?

- Le nom le dit : fous-y tout ! Cuisez les viandes avec du lait de noix de coco, bananes, ananas, mangues, papayes, urus, patates douces, potas, bref, tous les fruits et légumes exotiques que vous trouverez. Ajoutez une pointe de cannelle et du curcuma et poivrez généreusement. Préparez le même plat à base de poissons, afin que les gens aient le choix. Servez roulé dans des feuilles fraîches, avec du riz basmati cuit dans du bouillon de poule bien aillé. Terminez par une grande salade de fruits frais, arrosée de rhum, et un gâteau tahitien à la noix de coco. Pour les vins, je vous recommande un bon petit rosé de Provence et un gewurtztraminer récolte tardive avec le dessert... Je vous assure qu'après cette traversée, où ils n'ont pratiquement rien fait d'autre que de se remplir la panse, ils vous seront reconnaissants de leur rafraîchir le palais, Chef !

- Oh merci, Chef, vous ĂŞtes un chef ! Puis-je vous demander un autographe, Chef ?






A quelques mètres de là, Pichon s'installa dans un transatlantique, aux côtés de Chambier.

- Ça va comme tu veux, mon cadet ?

- Ouais, mais il faut le dire vite. Ça se traîne... Pour être franc, je m'emmerde un peu.

- Oui, moi aussi.

- J'ai une idée. Si on racontait aux autres que Catherine Lapilule est à bord ? Ça mettrait un peu d'ambiance. Qu'en penses-tu, vieux gars ?

Yolande intervint :

- Vous n'allez pas faire ça, tout de même ?

- On va se gĂŞner, tiens ! fit Chambier.

- Mais elle m'avait fait promettre de ne rien dire ! protesta Yolande.

- Ah ?... Alors pourquoi tu l'as dit ?

- Euh...

Les deux compères se levèrent et allèrent rejoindre un groupe de Marcepoulairois qui jouaient à la pétanque. De loin, Yolande distingua leurs mimiques étonnées, puis leurs traits déformés par la colère, et enfin leurs visages hilares. "Ils manigancent quelque chose", pensa-t-elle. Ernest et Gaston revinrent s'asseoir à côté d'elle.

- Que leur avez-vous raconté ? demanda-t-elle.

- Ben, que la Lapilule était à bord, bien sûr ! On va rigoler !

Dix minutes plus tard, Sancho Pansu revint, portant le trident de Neptune et un oreiller. Il fut suivi par Catherine Lapilule qui se débattait, fermement maintenue par Cristobal Populer, Jean Bombeur, Matelet Robert, et Edgar Dosterlitz. Ils lui avaient collé du Chatterton sur la bouche pour l'empêcher de crier. Derrière suivait Zel, penaud, mais libre de ses mouvements.

Sous la menace du trident, Catherine Lapilule fut contrainte de monter les échelons du plongeoir de sept mètres. Arrivée au sommet, quelques piques dans les fesses l'incitèrent à sauter.

Quand elle rejoignit le bord de la piscine, les solides mains d'Alonzo Lupanar et de Gérard Manjouis la tirèrent hors de l'eau. Un type s'approcha d'elle, un canif dans une main et l'oreiller dans l'autre.

Catherine Lapilule l'avait reconnu : c'était Dan Lepordamsterdam, le célibataire le plus endurci de St Marcelin, celui qui détestait les femmes !... Il allait lui coller l'oreiller sur le visage pour étouffer ses cris, et lui trancher la gorge tout doucement avec son canif, pour prolonger son agonie le plus longtemps possible ! Elle faillit s'évanouir, mais les autres la maintinrent sur ses pieds.

Dan Lepordamsterdam se planta devant elle et annonça :

- Catherine Lapilule, née Ausseroce, les citoyens de St Marcelin vous ont condamné pour vol, infidélité, arrivisme, mensonge, dureté de coeur et ingratitude ! Je vais donc exécuter la sentence.

Derrière son bâillon, Catherine Lapilule faisait "Mmmmm, mmmmmm", les yeux agrandis par l'horreur.

Dan Lepordamsterdam éventra l'oreiller et recouvrit de plumes le corps mouillé de Catherine Lapilule. Puis Alonzo Lupanar et Gérard Manjouis la relâchèrent et elle partit en courant vers la coursive, non sans avoir percuté de plein fouet le commandant Demisaine, qui venait voir pourquoi on s'en prenait à l'une des principales actionnaires de Queen Comunetruy Cruises.

Un énorme éclat de rire secoua le pont piscine. Les Marcepoulairois tapaient dans leurs mains et chantaient la Danse des Canards. Chambier et Pichon se soutenaient mutuellement, n'en pouvant plus, le souffle court. Jamais ils n'avaient autant ri. Même Muso s'était retourné sur le dos et se tenait le bide en gigotant, gueule ouverte, produisant une série de jappements suraigus.




Le Queen Comunetruy arriva dans la baie de Papeete le 7 janvier, au petit matin.

- Lieutenant Lancre, faites jeter l'ancre ! ordonna le Commandant Demisaine.

Le lieutenant Jed Lancre fit jeter l'ancre.

A 8 H, le paquebot obtint l'autorisation d'accoster dans le port de croisière. Il effectua les maoeuvres nécessaires, et les passagers débarquèrent à 11 H. Ils avaient quartier libre pour visiter la ville, mais on leur conseilla d'être de retour à 18 H, la Soirée du Commandant débutant à 20 H précises.


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- A nous les petites vahinés ! fit Antonin Couplet en se frottant les mains.

Salazar Therminusse, qui tenait Muso en laisse, posa à son tour le pied sur le débarcadère, regarda autour de lui et dit, sur un ton surpris :

- Oui, mais où sont-elles ?... Je croyais qu'à Tahiti, tous les navigateurs étaient accueillis sur le quai par de jeunes Tahitiennes aux seins nus, qui leur passent un collier de fleurs autour du cou, comme dans "Les Révoltés du Bounty"... Ce n'était pas compris dans le forfait ?

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David GILLE
Ecrit le: samedi 30 aoűt 2008, 21:10


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Les passagers du Queen Comunetruy se répandirent dans les rues de Papeete. Ils visitèrent les places de Tahu'a Vaiete et de Tahua To'ata, le Parc Bougainville, la cathédrale Notre-Dame et le musée de la perle. Puis ils firent du shopping au Centre Vaima et pillèrent toutes les boutiques du quartier du Commerce.

La moitié d'entre eux acheta des paréos, des jupes en raphia, des poupées vahinés qui font "ia ora na", des ananas, des colliers de coquillages et des portraits de Gauguin. L'autre moitié acheta des portraits de Gauguin, des colliers de coquillages, des ananas, des poupées vahinés qui font "ia ora na", des jupes en raphia et des paréos. Certains achetèrent même, en plus, des paréos et des jupes en raphia. Les plus aisés acquirent, quant à eux, des poupées vahinés qui font "ia ora na" fabriqués en Norvège (et non en Chine), et des portraits de Gauguin imprimés à Taiwan (et non en Italie). Certains, vraiment nantis, allèrent jusqu'à acheter des colliers de coquillages fabriqués à Montauban.

A midi, nombre d'entre eux allèrent déjeuner au Rex, à côté du cinéma Liberty, connu par les initiés et les lecteurs des guides pour son pua'a rôti. Les autres s'empiffrèrent au New Port, à l'InterContinal Resort, à l'O à la Bouche, aux Roulottes ou à la Petite Auberge.

Vers 18 H, ils se retrouvèrent au pied de la passerelle d'embarquement. Ils déballèrent leurs souvenirs et les montrèrent autour d'eux pour les faire admirer. Tout le monde s'extasia, surtout à propos des ananas, qui furent jugés bien plus authentiques et plus ethniques que ceux qu'on vendait en France chez Auchan et Leclerc. Rien à voir, y avait pas photo.

A partir de 18H30, le commandant Thomas Demisaine se plia à l'éprouvante corvée de la photo-souvenir. Pendant plus d'une heure, en uniforme d'apparat, il posa entre les couples brûlés par le soleil, qui empestaient l'eau de toilette, l'après-rasage et l'ambre solaire. Comme d'habitude, il avait la nausée. Chaque fois qu'un couple cédait sa place à un autre devant l'objectif du photographe, le tas de peaux pelées, sur le sol, augmentait. Quand tout fut fini, une femme de ménage munie d'un seau et d'une pelle les ramassa et alla les jeter aux mouettes.

A 20H pétantes, tout le monde se retrouva dans la splendide salle Gauguin.

A la table d'hôtes du commandant Thomas Demisaine se retrouvaient les personnalités les plus marquantes du bord. De gauche à droite : Yolande et Ernest Pichon, Gaston Chambier et Léa Pimil, le Dr Debord et sa femme, Salazar Therminusse et Muso, puis Germain Poileux et Edith Denante, une professeur d'histoire rencontrée à bord. A leur côté, un marchand de pétards de Montcuq (département du Lot), Danny Troglicéryn et sa femme Mélanie. Il y avait aussi les Bidoche-Danleboiyot, industriels de la merguez, et leurs deux enfants (qui étaient en retard, s'étant égarés dans les coursives). A leur droite, Michel Grondin et sa nouvelle conquête, Elle Sotopaf, une fille facile et bien roulée. A côté de cette dernière, Jésuah Loilpé, un grossiste en caleçons qui vivait à Poil (Nièvre) et sa cavalière, Eva Paoli, une fille sexuellement refoulée. Enfin, complétant ce prestigieux tour de table, Geoffroy Ofèce et Léonce Légel, fabricants de bouillottes à Froidcul (Moselle).

Tous les convives étaient sur leur trente-et-un. Le commandant Demisaine avait maintenant revêtu son uniforme de gala, pantalon noir à liseré rouge, veste blanche et nœud papillon, qui faisait chavirer le cœur de bien des femmes à bord.

- Je vous souhaite la bienvenue à ma table, commença-t-il. J'espère que vous passerez une bonne soirée. Comme vous pouvez le constater en lisant les menus disposés devant vous, le chef cuisinier nous a préparé un dîner typiquement tahitien !

Marcel Epoivre avait en effet suivi scrupuleusement les conseils de Paul Acharbon. Mais il avait fait preuve de créativité pour le nom des plats : le sorbet de pulpes de fruits avait été rebaptisé "Caresse d'alizé et de fraîcheurs exotiques aux flaveurs polynésiennes", et le Fouzitou était devenu : "Grilladines à la Mataiéanne et leur farandole végétale, dans leur habit de feuilles fraîches de musacées".

- Houlà ! dit Chambier. Ça n'a pas l'air très chrétien, tout ça ! Y aurait comme un déficit de saindoux, que ça ne m'étonnerait pas... Ce n'est pas de la nourriture qui profite, si vous voulez mon avis.

- Ça ressemble à du manger pour fumelles et chochottes ! ajouta Pichon. Si ça ne cale pas, on ira bouffer quelques steaks au restaurant de nuit, vieux gars.

A leur gauche, Bidoche-Danleboiyot posa son menu et abonda dans leur sens :

- Po-po-po, ça cié une idée qu'elle est bonne ! Je vous accompagnerai. Je ne crois pas qu'il y ait de quoi nourrir un honnête homme, là, dis.

Bidoche-Danleboiyot père portait un pantalon blanc et une veste de smoking en lamé argent. Par dessus sa chemise à jabot et son nœud papillon, il arborait une grosse chaîne en or au bout de laquelle pendait, massif, son signe du zodiaque, en or également. Au poignet droit, une gourmette large comme une menotte (en or), et à son poignet gauche, un chronographe Breitling (en acier) qui avait la grâce d'un coup de poing américain fabriqué en URSS. Et bien sûr, son annulaire gauche était étranglé par une énorme chevalière gravée de ses initiales.

Son épouse, Mella, était engoncée dans une robe gris-vert, couleur de mer en furie. Elle exhibait l'intégralité de ses bijoux, y compris ceux qui lui venaient de sa mère et de sa grand-mère. A cause du poids, elle avait mal aux reins.

Un benêt endimanché, d'une trentaine d'années et déjà presque chauve, et une rouquemoute à la poitrine creuse, en robe du soir beigeasse, se dirigeaient vers la table.

- Et voilà nos enfants ! lança Mella Bidoche-Danleboiyot, à l'attention de son mari et du reste de l'univers.

Elle croisa les mains sur son opulente poitrine et pencha la tête sur le côté pour signifier sa vénération indéfectible à sa progéniture. Puis elle s'exclama, assez fort pour qu'on l'entende jusqu'à Sydney.

- Purrréa, qu'est-ce tié bô, mon fiss ! Mais qu'est-ce tié bô !... Et toi, ma fiiiiiille, qu'est-ce tié élégaaaante et sexyyyyy ! Ma parole, si avec ça tu trouves pas un mari ce soir, faudra leur déboucher les yeux, à tous ces hommes, la vérité si j' mens ! Essaie de t'en trouver un qu'il est riche, ma fille... Vous êtes marié, commandant ?

- Heureusement pour votre fille, oui ! fit Thomas Demisaine galamment.

A l'instar de toutes les mamas juives, italiennes et maghrébines, Mella Bidoche-Danleboiyot était viscéralement allergique à l'état de célibataire chez l'être humain. Elle se tourna donc vers Chambier, et désigna Léa Pimil :

- Cié votre femme ?... Ba-ba-ba, vous les prenez jeunes !

- Comme ça elles me durent plus longtemps et me font plus d'usage ! répondit Chambier, bougon.

Puis elle se tourna vers Michel Grondin et Elle Sotopaf :

- Vous ĂŞtes ensemble ?...

La jeune femme répondit :

- Non. Nous deux, c'est juste pour le sexe ! Et d'ailleurs, on ne pourrait pas se marier.

- Ah ?... Et pourquoi donc ?

- Parce qu'on est frère et sœur ! fit Grondin, ce qui cloua immédiatement le bec à la frénétique marieuse.

A cet instant, l'orchestre du bord monta sur l'estrade. Pour rester dans le thème de la soirée, tous les musiciens avaient échangé leur tenue de scène habituelle contre des paréos et des jupes en raphia, ainsi que contre des jupes en raphia et des paréos. Ils s'étaient adjoint un joueur d'ukulele hawaiien originaire de Chicago, qui se faisait passer pour un Tahitien pur porc. Au signal du chef d'orchestre, ils attaquèrent l'immortelle œuvre de Bourvil, "Salade de fruits", tandis que six femmes de chambre déguisées en vahinés secouaient vaguement leur baigneur.

- Ahhhh, "Salade de fruits" ! fit Chambier. C'est l'un de mes morceaux préférés ! A cette époque, on savait encore écrire des paroles intelligentes ! A chaque fois que ça passe sur Nostalgie, j'ouvre une boîte de pêches au sirop !

- Moi, c'est quand j'entends Bison Futé parler de bouchons, fit Pichon : ça me donne toujours envie d'ouvrir une bouteille de muscadet.

Les serveurs apportèrent la "Caresse d'alizé et de fraîcheurs exotiques aux flaveurs polynésiennes". Pichon goûta.

- Mais... c'est de la glace ! C'est parce qu'on est dans l'hémisphère Sud qu'on fait les choses à l'envers et qu'on commence par le dessert ? On croit rêver !

- Remarque, c'est pas mauvais, fit Chambier. Après cette journée de canicule, ça fait du bien où ça passe, et ça remplace avantageusement la salade russe tiède et le thon mayonnaise, je trouve.

Le commandant Demisaine se tourna vers Grondin :

- Dites-moi, cher Monsieur Grondin, vous avez eu une Ă©ducation anglaise, je suppose ?

- Moi ?... Non, pas du tout. Pourquoi me posez-vous cette question, Commandant ?

- J'observe que vous gardez votre main gauche sous la table quand vous mangez, comme les Anglo-saxons.

- Je... euh... fit Grondin en posant sa main gauche sur la table, tandis que Elle Sotopaf pouffait derrière sa serviette.

Alors que l'orchestre interprétait une version très libre de "L'ami Cahouette", on servit les "Grilladines à la Mataiéanne et leur farandole végétale dans leur habit de feuilles fraîches de musacées", version viandes ou version poissons.

- Mais... C'est très bon, les saveurs explosent dans le palais ! s'exclama Danny Troglicéryn.

- Ça a l'aspect de vomi, mais c'est savoureux ! surenchérit Léonce Légel.

- Excellent ! fit Elvire Debord.

- Purrréa, cié bizarre à regarder, mais qu'est-cié bon ! ajouta Mella Bidoche-Danleboyot. Ma parole, cié presque meilleur que les boulettes !

- Exquis ! fit Elle Sotopaf.

- Fameux ! confirma Michel Grondin.

- Slurp ! fit Muso en se pourléchant les babines.

- Je suis surpris, mais je dois avouer que c'est succulent ! abonda Jésuah Loilpé.

- DĂ©licieux ! ajouta Edith Denante.

- Absolument dégueulasse !!! fit Chambier, qui pensait qu'il fallait manger la feuille de bananier et avait commencé à la mâcher.




La soirée s'acheva à 1H du matin, les convives regagnèrent leurs cabines. Gaston et Ernest, eux, se rendirent au bar de la piscine. Ils y retrouvèrent une poignée d'autres Marcepoulairois qui avaient décidé de vider quelques godets, se sacrifiant ainsi pour laisser à leurs femmes le temps de faire les valises sans être dans leurs pattes.

Durant cette dernière nuit à bord, le sommeil des passagers fut peuplé d'images de cocotiers, de plages de sable blanc, de tiarés, d'orchidées, de paréos, de jupes en raphia et de ciels toujours azuréens. Dans les songes de certaines passagères, le commandant Thomas Demisaine, en plus, tenait un rôle actif. Mais hélas, ce n'était qu'un rêve, qui, au réveil, les laissa inassouvies, frustrées et en rogne contre leurs maris, lesquels mirent ces sautes d'humeur sur le compte d'un stress lié au départ vers la France et sa froidure hivernale.




Le lendemain après-midi à 19H, les passagers du Queen Comunetruy descendirent de la passerelle. Le groupe tahitien "Raphia & Paréo" ayant fait faux bond, ils furent accueillis par la fanfare alsacienne de la Brasserie Kronenbourg, qui interpréta magistralement "D'r Hans im Schnockeloch".

Une noria d'autocars conduisit les Marcepoulairois à l'aéroport international de Tahiti Faa'a où les attendaient l'Airbus du commandant Mercier. En le reconnaissant, ils le fêtèrent chaleureusement, car, après tout, il avait réussi son atterrissage à Los Angeles quinze jours plus tôt, ce qui méritait bien quelques applaudissements.

Ils montèrent à bord et reprirent leurs places. Muso, lui, retrouva son sac de voyage, sa couche-culotte et son compartiment au-dessus du siège de Salazar Therminusse.

L'Airbus décolla à 22H15 pour Los Angeles, où il fit escale. Compte tenu du décalage horaire, ils arrivèrent à Roissy Charles-de-Gaulle le 10 janvier peu après 7H du matin, après un vol sans histoire, mais épuisant.

Le soleil n'était pas encore levé, il faisait froid et il neigeait sur Paris. Au travers des vitres embuées des autocars Pullman qui les conduisaient à la gare d'Austerlitz, ils regardaient les flocons de neige virevolter autour des lampadaires, et les silhouettes qui se hâtaient pour aller travailler, la tête rentrée dans les épaules, ignorant qu'à 16000 km de là, des gens portaient des paréos et des jupes en raphia.

Paris au petit matin, dans la bouillasse de neige fondue, était le spectacle le plus déprimant du monde. Surtout lorsqu'on rentrait de vacances avec le nez et les épaules qui pèlent.

- Et en plus, on a perdu une journée entière de notre vie ! fit Gérard Manjouis. On est déjà le 10 janvier, alors qu'à Tahiti, ils sont encore le 9 !

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David GILLE
Ecrit le: jeudi 18 septembre 2008, 23:38


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EPILOGUE

Lorsque les voyageurs arrivèrent à la gare d’Austerlitz, les deux Marcepoulairois les plus costauds, Ollie McAronny et Hercule Kanjavance (dont le sang charriait bien plus de testostérone que celui des membres du congrès mondial des antiquaires, des coiffeurs pour dames et des vedettes de la haute-couture), saisirent Ernest Pichon, leur mécène, et le projetèrent en l’air sous les hourras des autres. Puis ils le portèrent en triomphe jusqu’au Monster Rabbit Park Express, sous l'objectif des caméras du Journal Télévisé de FR2, averti de leur aventure tahitienne.

Ils arrivèrent à St Marcelin à 18 H. Ils déposèrent leurs bagages, et, à 20H, les hommes purent se rendre au DN2P pour regarder le JT, lancé sobrement par David Pujadas :

- Nous nous rendons maintenant à la gare d’Austerlitz, où nos équipes ont pu assister, ce matin, à l’arrivée d’un groupe de voyageurs pas comme les autres. En effet, un richissime homme d’affaires a offert une croisière de luxe à - tenez-vous bien - quatre cents habitants de son village ! C’est un reportage signé Irène Inmalaiz, assistée de Trude Bal, Marthe Ouaconar et Laura Patbol. Le son est d’Arthur Delafeuil, assisté d’Ansour Kominpo. Eclairage : Jemal Ozieux. Montage : Donna Plinleku-Décizo, assistée de Régine Ouaitouatcher. Sandwiches et boissons : Emile Ehunui et Paul Tergeist. Technicienne de surface : Erika Lamarfri. Déléguée syndicale : Paris Silamonay. Script : Jesper Déjumo, son chien s’appelle Sakapus, et la nièce du machiniste est crémière à Palaiseau. Réalisation : Tapas Sambal-Meck. Enfin, n’oublions pas les commentaires, qui sont signés Sarah Dott.

Sur l’écran, on voyait la horde des Marcepoulairois envahir le quai où les attendait leur train spécial. Sarah Dott commentait les images :

- Monsieur Ernest Pigeon, le PDG du célèbre Monster Park des Rabbits de St Poulet-sur-Marcel, a offert un magnifique réveillon à quatre mille de ses concitoyens. Il les a transportés en mer de Chine, plus précisément sur l’île de la Guadeloupe, où il avait loué pour eux un luxueux palace, au bord d’un marigot où, chaque soir, venaient s’abreuver éléphants, lions, tigres, ours blancs, phoques et autres bêtes de la jungle...

Yvan Sapioche commentait les commentaires de Sarah Dott :

- Y a pas à dire, ces journalistes sont quand même mieux renseignés que nous.







Pendant ce temps, au bar, se jouait un drame :

- Non ? faisait Alonzo Lupanar, l’horreur peinte sur le visage.

- Ben si, répondit Dufermage sur un ton désolé.

- Je le crois pas ! Tu es sûr ?

- HĂ©las !...

- Dis-moi que c’est pas vrai !!!

- Ben si. Malheureusement... répondit Dufermage.

- Non, je peux pas le croire !

- Je sais, c’est incroyable, mais c’est vrai.

- Mais comment est-ce possible ?...

- Je ne sais pas... Une faiblesse passagère, sans doute.

- Mais qui va le leur dire ?

- Moi, répondit Dufermage.

- Ça va être l’horreur...

- Je sais, mais je n’ai pas le choix.

- C’est terrible. Mais tu es sûr de ne pas te tromper ? Tu as bien regardé partout ?

- Oui, partout.

Jean Bombeur s’approcha d’eux, percevant leur trouble :

- Qu’est-ce qui se passe ?

Alonzo Lupanar expliqua :

- Figure-toi qu’avant de partir en croisière, Albert a oublié de passer ses commandes. Il n’y a plus de guignolet !

- Oh merde ! fit Jean Bombeur. Et vous allez le leur dire ?

- Faut bien, répondit Dufermage.

- Va y avoir du sang !

- Si je ne leur dis pas, va y avoir des tripes ! répondit Dufermage.

Puis, tandis que Bombeur et Lupanar se mettait prudemment à l’abri, il se tourna vers la salle et appela :

- Hep, Gaston ! Ernest ! Vous avez une minute ?...


FIN

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